Tanya Monger. Ma maison est une île

Guy Arsenault, gouache, 1984 (Droits de reproduction : Maryse Arseneault)

Mon corps habite une mer faite d’oiseaux étranges. Majestueux peut-être mais pas les miens. Mes accents empruntés. Je marche inachevée. Mes rêves insulaires.  

Ma maison est une île. Les chemins qui m’habitent sont bordés de lichen, de nord, de roc et de mer sauvage. Mon île existe à l’orée des impossibles, de ce qui n’est plus. Aucun drapeau ne flotte sur son archipel. Qui es-tu ?  

Mon île garde en secret la lenteur des jours. Sa démesure inaltérée, intangible au temps qui s’étiole. Les lys nos couronnes, les silences en offrande. Sur la tourbe nos têtes lourdes reposent, nos élans déployés. Nos pieds polis par le plaqué, nos yeux d’horizons. Mon île sait apaiser les désordres. Nos déchirures lavées à marées hautes. Elle sait le maillage des bonheurs simples. Mon île fait neuve.  

Je sais entendre son pouls. Ses murmures en délivrance. Je suis chez nous. Ma totalité reste pliée dans son étreinte. Elle qui m’a vue grandir. Couché sur la sphaigne, dort le bruit de nos enfances heureuses. Pour elle, je serai toujours cet enfant capelan gorgé de sel et de soleil.  

Campée au chaud, dans le geste de mes grands-mères, je dépouille mes chicoutais de leurs mousses, ma respiration lente, mes doigts précis de générations. À l’abri, dans le réconfort du sillage de ceux avant nous, je marche les portages de nos pères. Vivre la plénitude d’appartenir. 

Enlacées fidèles. Mon cœur y est tranquille. Solennelles, on se promet nos plus beaux toujours. Je la garde en moi dans un écrin. Elle me garde en elle. Ensemble l’infini.  

Ma maison est une île faite de bouts du monde. 

TANYA MONGER. 

Texte publié dans le No 41. HABITÉ.E.S

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