Tímea Nagy. Maison grenade

Guy Arsenault, gouache, 1984 (Droits de reproduction : Maryse Arseneault)

Ma maison est toutes les maisons où j’ai habité. 

Si on est chanceux, nos chambres d’une fois  

n’occupent pas beaucoup de place.  

Les miennes, en générale, se tiennent sur la paume,  

comme des insectes qu’on trouve par hasard  

sur un coussin, ou à côté des fleurs cueillies  

à la dernière balade.  

Parfois, elles nous piquent.  

Des fois elles font du bruit la nuit.  

Les chambres, elles ont des carapaces.  

 

Quand on range nos chambres dans un tiroir à fleurs,  

c’est un pré qui habite nos mains. 

Quand on range nos chambres dans un tiroir à insectes,  

c’est le pré qui nous abritera des vagues de froid.  

 

Chez moi ressemble à une grenade.  

Autant de graines, autant de vaisseaux sanguins,  

l’un près de l’autre. Chacun suit une mélodie différente,  

mais les cœurs sont les miens, j’ai avalé  

toutes les capsules rouges des cages thoraciques  

qui les contiennent.  

 

L’intérieur d’une grenade est divisé en cloisons. 

Les murs divisent les chambres. 

Une paroi divise le cœur.  

 

Suis-je mur, sol ou toit ?  

Es-tu moi, seul ou toi quand on s’invite chez soi ? 

 

En hiver, chez moi mes habits s’habillent de moi.  

Mes livres me lisent, et mon café me sirote  

dans ma tasse préférée.  

 

Au printemps, chez moi la marée réclame  

sa lune en porcelaine, la mer est une fenêtre  

laissée ouverte trop longtemps.  

Impossible de démêler les bleus du ciel et de l’eau.  

Mes voisins.  

 

En été, chez moi est déraciné et mis en terre  

à intervalles musicaux. Quand tu rentres le soir, 

tu portes un abat jour en guise de chapeau, 

et sur tes cils, il y a des étoiles de sureau. 

 

En automne, les grenades se récoltent. 

Chez moi qui ressemble à une grenade 

je fraye chemin dans la pulpe de fruit. 

Les graines coryphées se taisent.  

Mes 400 cœurs cherchent abri. 

T’ouvres un tiroir à fleurs, et le refermes 

400 fois, le temps que durent  

les vagues de froid.  

Tímea Nagy. 

Texte publié dans le No 41. HABITÉ.E.S

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