Jonathan Roy. couler

couler comme une histoire de pirates qui finit comme elle devrait
en emportant avec elle ses chaudrons de cuivre
et les pauvres gardiens gigantesques et sacrifiés
tu coules Titanic dans les eaux profondes
de la faute à qui
depuis la nuit bitumineuse
de la fuite originelle qui t’avait recraché dans la rivière sauvage
juste avant que le cri jaillisse de ta gorge fontaine
et que tu asperges le monde de ta présence
indélébile et vulgaire
du temps où on te disait encore
que tu devrais choisir
entre couler pis caler

et depuis ce temps-là tu danses tout en sueur comme un gars chaud
entre la culpabilité des cernes noirs que tu laisses sur ton passage
et l’envie américaine de caler des fonds pour oublier
les taches que tu portes sur ton linge
comme des marques de commerce
pas équitable pantoute

tu coules comme les fenêtres de ton appartement frette et
calfeutré au duct tape qui laissent passer ta paie
malgré le beau sourire saran wrap du propriétaire
qui t’avait pourtant garanti que tout allait être tight
pis ben alright

ton char aussi coule
coule de l’huile
coule du liquide à transmission
et même une fois le liquide de tes freins qui t’avaient laissé pour mort en t’envoyant la face dans une pompe à essence
comme si t’étais pas déjà toi-même une fuite de gaz non détectée
ou un cocktail molotv dans un sac à dos prêt à exploser pour cracher la lumière sur ton corps mensonge et sur toutes les flaques de honte que tu as laissées derrière toi dans tous les parkings et tous les cimetières où tu t’étais arrêté pour contempler la beauté nacrée de la fin de la route qui scintillait en pendentif au cou de ta maitresse centerfold
Miss Ultramort tellement sexy et tellement bien huilée
que tu pouvais voir ton reflet de vainqueur suinter dans le trou creusé
de son buste en mensonge

pourtant
elle avait déjà été belle pour vrai
avec ses hanches de forêt vierge pis ses veines à boire debout

avant les chirurgies plastiques et les galons de poison
qui l’avaient transformée en désert
avant la grosse soif

mais elle fait pitié quand même
parce qu’elle s’est fait pogner :

juste un trou au début

pipe-in
pipe-out
le gars prendrait ce qu’il voulait
lui donnerait son cash
pis la laisserait tranquille
pis elle pourrait acheter du linge aux p’tits
parce que son dernier chum avait crissé son camp dans un avion
comme un cowboy avec le chèque de pension
pis une vieille toune d’amour

mais lui
le nouveau
comme un problème de plomberie
après une job botchée
y’est revenu

avec un plus gros appât
un plus gros fish
une plus grosse faim
une plus grosse pipe

pis une plume
pour qu’elle signe son nom
dans le contrat en flaque d’huile
qu’il avait laissé sur le plancher
avant de partir

fait qu’elle l’a fait
elle a signé ses rêves
avant de se laisser perforer
traversée par un réseau de veines et de canisses à espoir
comme les junkies dans les films qui se crissent
de ce qui les traverse tant qu’il y a la promesse
d’un soleil à 40W pour une quarantaine de minutes
pis toi t’en es tombé amoureux pareil
parce qu’elle t’a fait feeler important et complet
même quand comme un adolescent tu coulais partout
sur le prélart et que ton sang se mélangeait
au contrat laissé à traîner sur le plancher de la cuisine

pis là ben tu coules encore
et tu sues à grosses gouttes
devant ta fenêtre qui coule de l’air
et ton char qui coule de l’huile
et tu sues à grosses gouttes
les deux pieds dans l’eau parce le drain de la toilette
a encore lâché
parce que t’as pas d’argent
parce que t’as pas voulu toi
aller te tuer à la job à pomper de la mélasse
pour la mettre dans une paille
parce que tu préfères être de l’autre bout et la boire toi
parce que t’as des principes
que tu préfères sucer de loin

mais essuies-toi la bouche cher
ça coule icitte

Jonathan Roy

Poésie : pourquoi tu pleures
Réflexion critique : En essence. Retour en trois temps sur les traces volatiles d’une création collective. Pour en venir au pipeline (1). Le printemps de quelque chose (2). Varia – Dans l’après de l’autre automne et de la beauté des imprévus (3).

Texte publié dans le No 16. Déversements.

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