TÉOFIL ZÉPHYR
Sœur Catherine d’Oléron vient de nous quitter.
Elle avait 124 ans, la supposée plus veille personne au monde.
Mais moi, je sais que c’est faux.
J’avais huit ans lorsqu’elle est née.
Bien sûr, je n’ai pas de baptistaire m’identifiant comme Téofil Zéphyr,
et personne au monde ne peut corroborer mon extravagante affirmation.
Tant pis ! Je suis bel et bien né en 1912, l’année du Titanic.
Si ma voix n’est pas rauque ou tremblante ou sépulcrale,
c’est parce que j’emploie un synthétiseur de voix qui simule le parler
d’un homme du tiers de mon âge.
Le jour inévitable mais certes encore lointain où mon corps s’échouera
sur les récifs de la mort, les curieux qui vont l’ouvrir ne trouveront plus
le moindre organe original avec le filigrane de maman-papa.
Pancréas, foie, estomac, vessie, vésicule biliaire, rate…
tous sont des pièces de rechange.
Aujourd’hui, en 2044, il m’est infiniment plus facile de me tenir aller
que c’était il y a trente ans. Dans ces années-là, si t’étais centenaire
et que tu voulais pas que la mort t’emmène magasiner pour des fleurs,
fallait avoir les reins solides. Par cajoleries, par insistances, et oui, parfois même par force brute, je parvenais toujours à me dénicher le nouvel organe.
Et quand j’étais vraiment mal pris, j’appelais le One One Nine pour qu’ils me livrent et installent l’item voulu. Un service qui me coutait, bien évidemment,
les yeux de la tête.
Paul Bossé
publié dans le numéro 39. Corps-texte : mécaniques