J’ai étudié, très longuement, la trajectoire des billes qui roulent sur le pavé. Elles décrivent des mouvements très aléatoires qu’il est difficile de prédire avec certitude. Leurs rebonds sont tout aussi imprévisibles. Pourtant, de formation je suis docteur en malacologie. C’est à dire que je m’occupe des cas des escargots. Comment passe-t-on des escargots aux billes, me diriez-vous ? Avec de la patience, je vous répondrais.
La patience a toujours été mon atout numéro un, et maman disait toujours : « Cher fils, tu es un rocher immuable, si bien que même la pluie ne penserait pas à frapper tes flancs ». À comprendre : je suis du type minéral, d’un bloc dont rien ne peut polir les contours : je suis indomptable. Mais même si j’observe habilement, sans respirer, sans cligner des yeux, il faut avouer que les gouttes frappent tout de même mon crâne.
Mon crâne n’étudie pas seulement les billes ou les escargots. Il archive méthodiquement les informations qui se trouvent sous mes yeux, qui émettent un son, une odeur ou toute chose vivante qui me frôle et qui entre en contact avec moi, de manière volontaire ou malencontreuse.
Je me suis pris, juste ici, un facteur dans l’exercice de ses fonctions. Il était siffleur et émettait une légère transpiration. Il ne m’a pas remarqué, bien entendu. Il ne s’est pas excusé non plus. Qui devrait présenter ses excuses à la montagne qu’il est en train de gravir ? Qui demanderait la permission à un sommet de bien vouloir le laisser monter sur son dos ? Ma réponse en tant qu’affilié métaphorique à l’espèce minéral de cette planète serait qu’il faut évidemment faire preuve d’une extrême courtoisie lors d’une ascension. S’élever, qui plus est à l’aide d’un tiers, mérite tout de même de la considération.
Je considère que les billes et les escargots ne sont pas si étrangers qu’il n’y paraît aux premiers abords. On notera ici la particularité sphérique des deux sujets, ou encore la difficulté de prédire leurs mouvements. Les escargots sont des billes perverties par des besoins physiologiques. Voyons, voyons : le facteur, l’escargot, la bille et ma personne avons des similitudes notables. Le facteur est un escargot, je suis une bille (bien que rien ne peut me polir, je vous le rappelle), le facteur-escargot rentre dans la bille-moi et ne s’excuse pas, ne remarque pas l’existence de la bille-moi, ne la considère pas. Mais nous pouvons aussi considérer que le facteur est tout aussi bille à en juger par ses trajectoires aléatoires, et que ma personne peut être assimilée à un escargot puisque j’ai des besoins physiologiques. De ce fait, c’est moi-même qui ai percuté le facteur et c’est moi qui n’ai pas apporté de considération à sa personne.
Bref, je dois retrouver le facteur et m’excuser platement d’avoir manqué de considération en essayant de le gravir.
Mickaël Andraud
Œuvre publiée dans le Numéro 28. Phonésie