Dominique Sacy. Le cycle du travailleur

JOEY MONEY

On dit qu’on peut connaitre l’âge d’un arbre
En comptant les cernes sur son tronc
J’pense qu’on peut connaitre mon âge
En comptant les nœuds dans mon dos
Être pauvre, c’est un sport extrême non consenti
Eïlle, une fois j’ai dû faire remplacer ma thyroïde, ça m’a couté 67 chroniques dans Le Devoir. Pis c’tait pas l’meilleur modèle, j’l’ai trouvé sur Kijiji.
Quand j’tais p’tit, c’tait d’jà impossible de faire réparer son toaster, mais les hôpitaux pouvaient encore réparer tes pièces internes. Maintenant, y t’disent d’aller t’en acheter des nouvelles. Voyons, j’suis pas un humain bio par choix, j’suis un humain bio par obligation. Évidemment, qu’j’aimerais remplacer c’qui’est défectueux. J’aimerais même louer mon corps, pour me payer des réparations, mais qui voudrait de s’t’affaire là ? Y faudrait une pub comme :
« Venez vivre l’expérience d’être un paumé. Vous expérimenterez des sensations remontant aux australopithèques comme la peur, les courbatures et la détresse psychologique. »

Aaahhh, si les publicistes faisaient pas tous leur stage de fin d’études chez INIFINI, j’aurais pu faire ça comme job. Ma mère me l’avait dit : « Là Domenico, tes affaires de poésie et d’travail autonome, c’est bien, c’est très bien même, mais tu condamnes tes futures enfants à manger strictement des rôties au beurre d’arachides. Va en publicité à la place, tu vas pouvoir utiliser ta belle créativité, mais tu vas aussi être capable de déménager d’chez tes parents.
« Sai, sei grande adesso, non puoi stare qui per sempre. »
J’ai quand même réussi à partir de chez mes parents… à 31 ans,
mais, statistiquement, c’est connu qu’les fils d’immigrants partent plus tard. Donc j’blâme ça sur mes ancêtres italiens. Pis pour les enfants, fuck off, anyway c’est pas… (il ressent une grande douleur à l’estomac)

Aaaahhh fuck, ça pince ! Hey, j’sais pas si j’ai plus peur de scrapper un d’mes contrats, parce que j’ai trop mal au ventre ou si j’ai plus peur de toujours m’en tirer et donc de rien changer à mon mode vie. Juste constamment être un peu plus mal dans ma peau, parc’que le cycle c’est : j’ai mal, donc j’suis moins concentré, donc j’dois travailler plus d’heures, donc j’suis plus stressé, donc j’ai plus mal, donc je suis moins concentré, donc je dois travailler plus d’heures…

Yo ! C’est plus facile de s’tordre dans machine que d’en sortir. Quand j’ai envie d’me pitcher par la fenêtre tellement j’ai des brulures d’estomac, ça m’fait pas prendre davantage de pauses, ça m’fait m’détester davantage.
J’ai jamais aspiré à ce que ma vie tourne autour du travail. C’est juste, arrivé.
Des fois, il fait beau dehors, j’voudrais juste respirer fort et m’faire bercer par mon souffle. Être ton propre patron, c’est être la personne qui t’harcèle psychologiquement, mais t’as aussi la chance d’être celle qui t’renvoie.
Comme dit mon chum Prévert (chanté) :
« Dis donc camarade soleil
Ne trouves-tu pas qu’c’est plutôt con
De donner une journée pareille à un patron »

Dominique Sacy

publié dans le numéro 39. Corps-texte  : mécaniques

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