Sarah Marylou Brideau. Worst. Joke. Ever

Quand j’étais petite, j’allais trouver Dad dans le jardin. Je le vois encore, penché sur ces grosses plantes vertes, il retournait les feuilles pour décoller des bibittes rondes, comme des grosses coccinelles rembourrées dans des habits rayés. Il les tapaient une à une du bout de ses grosses mains poilues et elles droppaient, «  plop, plop, plop  », dans un gros bucket blanc rempli d’eau.

C’est comme ça que j’ai découvert les bêtes à patates.

Moi, j’étais un autre genre de bête à patates. Aussi loin que peuvent me porter mes souvenirs, les patates ont toujours fait partie des aliments que je préfère. Je ne m’attaquais pas aux plantes, mais je n’ai jamais discriminé sur la forme. Bleue, jaune, blanche ou rouge, elles ont toujours quelque chose pour me plaire. Et même quand elles ont l’air triste et gris des poutine râpée qui a tendance à repousser les non-initiés, moi, jamais je ne rêverais de salir ce «  délice-niche  » de sucre brun.

Moi, je viens du Nord ça fait que les poutines râpées n’ont rejoint mes traditions qu’à mon adolescence quand une partie de ma famille fut reconstituée au cœur du comté de Kent. Depuis ce temps-là, quand je passe Noël chez mon père, il y a toujours des poutines.

Le ratio «  patates : viande  » y est beaucoup plus généreux que dans la traditionnelle tourtière des Brideau du Lac Saint-Jean. Elles avaient donc tout pour provoquer chez moi le coup de foudre qui ne m’a jamais quitté depuis. En plus, le travail sur la texture tire du pur génie. Fallait y penser pareil : peler, couper, cuire, piler, mais comme si c’était pas assez, peler et râper d’autres patates crues pour les mélanger aux pilées et les wrapper délicatement autour d’une boule de porc salé (sans oublier les oignons) et la faire bouillir délicatement dans sa robe de coton à fromage comme au plus beau jour de sa vie de patate. C’est tout simplement la plus intense forme du somptueux tubercule que mes papilles ont eu l’honneur de rencontrer. Patates :  puissance maximale !

Toujours incrédule après 25 ans de mon indéfectible appréciation pour cette chose qui, au contraire de beaucoup d’Acadiens ne m’a jamais été imposée, ma stepmom se souvient toujours de mon plaisir de déguster une poutine fricassée dans du gras de bacon le matin de Noël avec un œuf frit et son jaune coulant. Y’a rien qui bat ça ! Je reconnais son amour à cette délicate attention de me commander une extra poutine juste pour ça. Une tradition nouvelle-génération qui a conquis mon cœur et que j’espère garder longtemps encore.

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Je me reconnais vraiment dans la chanson «  C’est bon les patates  » de Mononc’ Serge & Anonymus. Mon amour pour les pommes de terre tire de la même absurdité. Il est de la même violence débridée sans toutefois se prendre trop au sérieux.

L’hommage demeure toutefois bien québécois parce qu’il honore l’autre genre de poutine : celle nettement plus appréciée du grand public que sa pauvre cousine acadienne qui n’aura certainement jamais l’honneur de se hisser jusqu’au menu de l’empire de la malbouffe, ou le décompte de l’ultime comfort food américain.

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Je sais pas si c’est vrai parce que mon oncle Lourie raconte beaucoup d’affaires pas mal comiques, mais il m’a déjà raconté que si t’étais pris sur une ile déserte pour une année complète en ne pouvant manger qu’une seule chose, le seul aliment qui te permettrait d’y vivre sans être hospitalisé au retour serait des patates.

Je préfères encore ça à la fameuse diète Subway.

Mais surtout, j’aime beaucoup l’idée de vivre en ne mangeant que des patates  pour une année entière en faisant pleinement durer le plaisir de déguster cet aliment sous toutes ses formes. Cette anecdote habite mon imaginaire comme un fantasme secret depuis : une année entière de solitude et de patates, could there be such a thing ? Sign me up !

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On peut même en faire des bonbons !

Le jour où ma mère m’a parlé des bonbons aux patates au détour d’une phrase, j’en fus immédiatement obsédée. Je m’en souviens comme si c’était hier. Le rite qu’elle retenait elle-même de sa tendre enfance avait quelque chose de tabou. «  Que-wa ? ! Des patates ? ? ? en bonbon ? ? ?  » Le reste de la conversation pris le bord et j’ai insisté pour qu’elle me montre comment préparer ce délice sur-le-champ.

On écrase une patate bouillie à la fourchette et on ajoute peu à peu du sucre à glacer jusqu’à ce que ça fasse une pâte. Ensuite on la roule avec un rouleau à pâte sur du papier ciré pis on étend du beurre de peanut dessus. Après, on fait un rouleau avec la pâte garnie, qu’on tranchera ensuite sur le travers, à la manière d’un pet de sœur. Comme toute bonne recette ancestrale, il n’y a pas de quantités. On y va toujours au pif selon la technique qui t’as été léguée par l’ancêtre.

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Y’a une photo de moi à 2 ou 3 ans avec une petite capine en laine rose pis un manteau moutonneux qui devait jadis avoir été blanc comme un nuage, but no longer. Je suis pleine de terre et surtout les mains, pleines de patates que je venais tout juste de déterrer dans le jardin à Mam. J’ai le visage sale et radieux du cœur de ma plus belle enfance avec les petites mains débordantes de ce si beau trésor.

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J’aimais tellement les patates que le désir d’en croquer ne me quittait jamais. Je ne me souviens pas si je les mangeais crues souvent, mais je sais que l’idée d’y plonger les dents avant qu’elles soient cuites m’enchantait autant que de les enfoncer dans une pomme.

À l’épicerie, j’ai trouvé un panier plein de patates tuckées-in sous les frigos de légumes. La salive me montait déjà à la bouche juste à voir les délicieux tubercules et du haut de mes quelques années. Je fus incapable de freiner le désir d’y plonger les dents. Et dès que ses jus attaquèrent mes délicates gencives, je sentis la saveur d’une trahison gustative que je n’oublierai jamais. J’avais la bouche en feu. Bouleversée et secouée d’incompréhension, je me demandais qui avait bien pu avoir la vilaine idée de déguiser ce panier d’intrus en patates. 

C’était la worst.joke.ever.

Sarah Marylou Brideau

Texte publié dans le No 37. La patate

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