Jean Babineau. L’affaire Tubercule

— To tuber or not to tuber…
L’hiver, rue Roy, des rhizomes plutôt blancs
sortaient des patates et rampaient tranquillement
sur le plancher en ciment à côté du congélateur.
C’était la vie qui cherchait à se répandre.
Mais quelle bravoure !
Des membres blancs qui cherchaient
où s’agripper ou où grimper
pour prolonger leur vie de légumineuse.
Des membres presque spectres.
Will there be a hanging, a cutting or a survival  ?

            Ensevelie dans la terre lors de son 91e jour, madame la Patate profitait de son environnement en retirant des éléments nutritifs tels que la vitamine B, puis se reposait en paix en priant tranquillement à la déesse Patatesse jusqu’à ce que Joe Plow vienne la sortir de son habitat naturel. Elle sent alors des drôles de vibrations qui continuent d’augmenter, elle se fait soustraire de la terre, se trouve ensuite parmi les siennes sur un tapis roulant, et tombe, avec ses semblables dans un gros contenant métallique. Un de ses attributs ; rouler sur elle-même, ce qui a amorti de beaucoup le coup.

            — Quel haria !

            N’étant pas accoutumée à socialiser et à être frotter les unes contre les autres, madame la Patate trouve cela pas mal dégueulasse.

            — Quel enfoiré est responsable de ce mess ! Que puis-je faire ? Rien ?

            Elle remarque un être horizontal avec une casquette à palette qui fume une maken… Dans sa brain de patate, elle ne sait pas trop quoi penser.

            — Toutes mes prières à la déesse Patatesse étaient-elles en vain ? Patati ! Patata  ! Pensez-vous que c’est facile d’être une patate, d’être obligée d’extraire de la terre tous les nutriments nécessaires pour pouvoir profiter. Oh là là ! Vous m’en demandez beaucoup  !

            La légumineuse en question a peur qu’on lui pose la question.

            L’eau bouillante pour amollir !

            Le mâche-patate en acier inoxydable !

            Les frites ! L’huile chaude !

            La torture quoi !

            Arrivera ce qui arrivera.

            La civilisation n’a aucune sympathie pour la patate.

            So much la livre…

            Sac en papier ou en plastique pour les petites.

            Amie de l’eau dans la terre.

            Faire la pluie et le beau temps.

            La peau plutôt mince, brune ou rouge ou dorée.

            L’eau qui bout ou le four qui chauffe.

            Enrobée de fromage, de ketchup ou de mayonnaise.

            Voilà à quoi s’attendre.

            À table, ferme ta gueule en mâchant.

            La patate étant ce qu’elle est rendra bien des services, même le 15 août.

             Dans le réseau des rhizomes, la rumeur court : Bud The Spud serait en train de se diriger vers Ottawa pour participer à une géante manifestation de semi-remorques devant le parlement qui concerne entre autres les patates, mais madame la Patate ne s’en fait pas, car elle ne connaît pas Bud The Spud et n’entretient donc aucun fantasme à son sujet.

            Qu’importe… …des patates pour dîner, des patates pour souper

presque tous les jours, presque sans faille.

            C’est l’histoire de la patate.

            La patate se prête à toutes sortes de mets, de plats, etc.

            D’après les dernières prévisions, la plupart des patates finiront sur une table devant un être ayant au moins deux jambes et une bouche.

Jean Babineau

Texte publié dans le No 37. La patate

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