Brigitte Lavallée. Pénombre

France Bergeron, Nomade sans repos, mixte.

Je t’observe dans la pénombre. D’abord, les mains. Tes doigts sont courts et tes mains encore bien enveloppées, développées dès ton jeune âge par le travail.

Les contours de ton corps ont pourtant changé. Tes épaules laissent peu à peu découvrir des angles nouveaux. Je t’observe comme pour me convaincre que le cancer va t’emporter à petites lampées dans ce jeu d’équilibriste perdu d’avance. Que le mal fait son œuvre malgré l’autoguérison que tu pratiques.

« Si je peux le faire pour les autres, je peux le faire pour moi. »

Tu te concentres pour réduire la douleur jusqu’à faire trembler tes mains posées sur ton ventre. Et si la tumeur diminuait ? Et si l’eau sur les poumons se résorbait ? Cette énergie que tu n’utilisais que pour aider les autres arrive aujourd’hui à t’apaiser.

Ne pas comprendre n’importe plus pour moi.

1990

Tu poses une main à l’endroit où la personne ressent du mal. C’est un don. Celui de soulager la douleur des gens autour de toi, parfois des inconnus, de guérir peut-être. Tu aimes le penser. Du haut de mes 20 ans, je te regarde et beaucoup de questions me traversent. Mais cette manière de faire le bien te ressemble.

Moi, je ne demande pas. Je ne voudrais pas me voir dépossédée de ma propre douleur. Elle fait partie du territoire que je protège. Ce monde intérieur que je ne veux pas laisser à découvert, ces blessures dont je ne veux pas guérir. Maintenir les autres à distance. Me débattre sans en avoir l’air. Tu m’es trop proche. J’érige des barrières invisibles.

Ce pouvoir de l’esprit, cette attention accrue que tu accordes aux autres t’attirent silence et respect. Cela me gêne parce que tu es mon père. Qu’ils aient ainsi accès à ta sagesse me procure un malaise. Une sorte de pudeur inexpliquée. Et pourquoi tant donner ? Pourquoi absorber le mal d’autrui ? N’est-ce pas ce que tu fais ?

Si tu peux apaiser les maux de tête, arrêter le sang par la pensée, soulager des maux de genoux, d’épaule, de dos, tu ne peux guérir le mal qui touche les troubles de l’humeur. Tu ne peux guérir Maman. Tu dois la laisser être ce qu’elle est dans sa fragilité. Sans plus. Ni moins.

Entourée des photos qui tissent la trame de nos années, un nouveau quotidien se dessine. Je frotte ton dos. Et si mes mains pouvaient aussi transmettre la chaleur réparatrice ?

silhouettes dans le noir
entre les voiles une lune pâle
nous regarde

 

Brigitte Lavallée

Texte publié dans le No 36. En corps

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