Saviez-vous que toutes les rides du visage ont un nom particulier ? J’ai écrit ce poème en imaginant mon visage comme étant une surface, un territoire façonné par le passage du temps, mon expérience et mon vécu. En résultent les quelques rides mentionnées. Nous vivons dans une société obsédée par la jeunesse, qui est terrifiée par le vieillissement et la mort. Pourtant, ce sera un passage obligatoire pour chacun.e d’entre nous. Pour moi, ce texte est une façon de « faire la paix » avec ce fait. Bonne exploration.
Mon visage est un pays(âge)
Une surface inégale à explorer
À effleurer du bout des doigts
Traversée de vallons et de montagnes
De petits bois
Mon front est une terre de labeur
Sillonnée par mes éblouissements et mes doutes
Mes sourcils sont les bouts de routes
Qui mènent aux deux hémisphères de mon cerveau
Gardien de ma pensée
Continent de ma conscience
Ardente, vive, parfois fortement ébranlée
Mes sourcils broussailles dévoilent
Le bleu azur de mes yeux
Capteurs d’essence, de beauté
Protégés par mes paupières
Éclipse
Mes cils sont un bosquet
Un sentier
Vers mes joues rosées par la gêne ou le froid
Mes yeux sont contournés de pattes d’oies
Comme les entailles sur les arbres
Cumul de l’expérience et de la sagesse
Mes cernes sont des bagages,
Des poches de courage
Témoins de la course effrénée du quotidien
Mon nez est une muraille dressée
Ma bouche est une chute, un flot ininterrompu de paroles
Un trop-plein de mots dissidents qui pressent, qui ragent
Mes lèvres de mousse entrouvertes cherchent le partage.
Ma langue est gisement, le quartz qui enrichit
Tout près, les plis d’amertume trahissent mes solitudes et mes soucis
À côté d’un menton toujours levé de courage
Comme le destin qui dresse un dernier barrage
Contre le passage trop rapide des années
Contre les forces de l’oubli
Empreinte de mon passage concret dans cette vie Révélation de la valeur ineffable du voyage.
Andrée Cormier
Texte publié dans le No 36. En corps