Simon Brown et Sonya Malaborza. La traduction comme pratique du bord

Les moyens du bord sont souvent les meilleurs moyens. Pas toujours, mais souvent. 

Les moyens du bord, dit-on, car en plus de traduire avec son propre langage et son propre bagage, chacun.e traduit avec ses propres limites, voire ses propres imperfections. Et c’est tant mieux, puisque ces limites forment les contours de la singularité de chaque traducteur.ice, et de chaque traduction. 

Les moyens du bord, car les moyens du bord sont souvent les seuls moyens dont on dispose. Surtout en contexte minoritaire, contexte marginalisé, contexte où-c’est-que-je-m’en-vas. Contexte bord, contexte bout. Contexte à-bout, contexte bout-du-monde. Contexte loin, en tout cas. Loin du centre, ou loin de ce qu’on croit être le centre. 

C’est d’ici qu’on vous adresse.

Traduire dans les Maritimes, en Mi’kma’ki, en Acadie, c’est être très conscient.es du fait que notre champ d’action se trouve en marge du milieu littéraire. C’est s’inscrire entre deux, voire plusieurs langues qui circulent en étroite proximité, parfois jusqu’à s’imprégner les unes des autres. Voici un contexte où la traduction garde certainement son rôle traditionnel de vecteur interlinguistique et interculturel, mais où elle est appelée à devenir autre chose aussi, une pratique de création à part entière.

On a cette fâcheuse tendance collective de parler de traduction comme s’il s’agissait d’un geste unique et autoritaire. Comme s’il ne pouvait exister qu’une seule « bonne » traduction d’un texte, comme si la traduction ne portait pas en elle un élan de création et d’observation semblable à celui qui sous-tend le geste d’écriture. Et pourtant. Un texte renferme autant de versions possibles que de traducteur.ices à même de le traduire.  

C’est dans cet esprit de polyphonie traductive que nous avons mené cette aventure collective que vous avez sous les yeux. Celle-ci est une aventure du bord qui déborde, entreprise dans un but double : faire vivre une première expérience de publication à des traducteur.ices en émergence ; et faire voyager vers un autre contexte de lecture des textes d’auteur.ices ayant des attaches avec l’Atlantique. 

À cette initiative s’est ajouté un partenariat avec la revue The Fiddlehead, qui s’est engagée à publier un folio de traductions vers l’anglais et l’espagnol réalisées sous la direction de Simon et de Jo-Anne Elder, figure phare s’il en est une de la traduction en Atlantique. Tant vers l’anglais que vers le français, les traducteur.ices en émergence ont bénéficié d’un encadrement offert dans le cadre d’ateliers réalisés en partenariat avec le Festival Frye, le festival WordFeast et l’Association des traducteurs et traductrices littéraires du Canada.

Mais là, trêve de préambules, c’est le moment de quitter le bord et de plonger dans ce numéro riche en voix multiples, autant celles des auteur.ices que celles des traducteur.ices  !

Simon Brown et Sonya Malaborza

Liminaire du No 35. Encrages et recollages

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