Noémie Pomerleau-Cloutier. Ma verdure appartient à l’hiver

 

Je ne sais pas les pages que je porte en moi. 

Je voudrais me tapisser de dizaines d’herbiers, mais personne ne les fabrique plus. 

Nous avons perdu la minutie de la cueillette et désappris l’application précise du poids sur la page pressée entre deux planches sous une source de chaleur. 

Nous avons oublié l’odeur des végétaux qui sèchent et nous refusons de voir les changements qu’apporte la flétrissure. 

Presque personne ne consulte les ouvrages de botanique. 

Qui peut encore chuchoter les noms communs, autochtones, scientifiques, latins des plantes comme autant de désirs  ?  

Nous ne craignons plus collectivement le froid, 
nous vouons un culte violent au redoux. 

Nous escamotons les plantes pectorales  : 
antennaire, gaulthérie, immortelle, lédon, sanguinaire. 

Nous étouffons 
épinettes noires, mélèzes, pins blancs, pruches et sapins baumiers. 

Pourtant, nous ne sommes que mucus. 

Malgré mon amour des végétaux, 
le seul qu’il me reste peut-être, 
je sais que je suis le plus nordique des conifères. 

Je porte le vide du centre du genévrier 
et mes membres rampants sont la seule couronne que je sauve. 

Racines de claytonie de Caroline, feuilles d’érythrone, soie d’asclépiade ou décoctions d’actée bleue me sont facultatives. 

Clitoris, vulve, vagin, utérus, trompes, ovaires : 
je n’ai rien de vif à expulser. 

Ma verdure appartient à l’hiver.

 

Noémie Pomerleau-Cloutier

publié dans le numéro 34. Jardins divers

Image : Marika Drolet Ferguson VM01 à 10, numérisation d’une pellicule 35mm couleur, 2014

 

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