fouettée sans cœur pour crier
six pieds sous les planches
tapie dans la coque
accroche sa main au rocher de nuage
à la lueur du tabac embrasé
respire et murmure
en hoquets saccadés
chamade dans sa gorge
les mots s’enfargent
elle se fait voir
et avoir
rarement ravie
n’en revient
si souvent navrée
et dans la noirceur
le silence déflagre
le bâtiment cante
le large approche
le pas comme un tambour
les rires d’enfants s’estompent
la marmaille s’attroupe de part et d’autre
pour laisser passer les bottes
franchir l’aurore
mettre fin à la succession des jours
une fois pour toutes
la poussière roule et tousse
tout l’océan la travaille
toute la terre lui manque
leurs voix comme un grognement
sans cadence ni mélodie
des porcs habillés
des coqs armés
se pavanant de long en large
des champs au chemin
de la cour à la grange
et les noms défilent
comme des nœuds dans la croix
à la vieille chapelle
à la croisée
larguée sans amarres à retenir
yeux fermés contre les spectres
maléfiques mirages de glace
tuniques ensanglantées
âmes recroquevillées
plus tôt les terres
pioche brisée
bêtes à l’abattoir
plus tôt, mais jadis, pratiquement
braises de chaumière
chandelle sur la paillasse
toute une vie gossée
dévorée, avalée
de rugir le brasier
sa destruction indéniable
si banale sous le soleil plombant
sa douleur a couleur de fleuve étrange
coulant le long des sillons
de ses yeux à sa bouche
elle se fera rare
et avide
sûrement rêvée
nue dérobée
nuit blanche
le bâtiment danse lentement
les poutres grincent
le bois parle
les lueurs ont leur propre souffle
ne grognent plus
ne voient plus
tout ce qui reste de la terre
sous ses ongles
sous ses pieds
dans sa peau
recule dans la noirceur
vers un avenir impassible
Christian Roy
publié dans le numéro 33. Cris de terrestres