Christian Roy. fouettée sans cœur pour crier

fouettée sans cœur pour crier
six pieds sous les planches
tapie dans la coque
accroche sa main au rocher de nuage
à la lueur du tabac embrasé
  respire et murmure
  en hoquets saccadés
  chamade dans sa gorge
  les mots s’enfargent
elle se fait voir
  et avoir
  rarement ravie
  n’en revient
  si souvent navrée
et dans la noirceur
  le silence déflagre
  le bâtiment cante
  le large approche

le pas comme un tambour
les rires d’enfants s’estompent
la marmaille s’attroupe de part et d’autre
  pour laisser passer les bottes
  franchir l’aurore
  mettre fin à la succession des jours
  une fois pour toutes
la poussière roule et tousse
  tout l’océan la travaille
  toute la terre lui manque
leurs voix comme un grognement
sans cadence ni mélodie
  des porcs habillés
  des coqs armés
  se pavanant de long en large
    des champs au chemin
    de la cour à la grange
et les noms défilent
comme des nœuds dans la croix
  à la vieille chapelle
  à la croisée

Rotchild Choisy, 19.22 composition Rêves, maison et terres, peinture acrylique, 2019

larguée sans amarres à retenir
yeux fermés contre les spectres
maléfiques mirages de glace
  tuniques ensanglantées
  âmes recroquevillées
plus tôt les terres
  pioche brisée
  bêtes à l’abattoir
plus tôt, mais jadis, pratiquement
  braises de chaumière
  chandelle sur la paillasse
  toute une vie gossée
  dévorée, avalée
de rugir le brasier
sa destruction indéniable
si banale sous le soleil plombant

sa douleur a couleur de fleuve étrange
coulant le long des sillons
de ses yeux à sa bouche
elle se fera rare
  et avide
  sûrement rêvée
  nue dérobée
  nuit blanche
le bâtiment danse lentement
  les poutres grincent
  le bois parle
les lueurs ont leur propre souffle
  ne grognent plus
  ne voient plus
tout ce qui reste de la terre
  sous ses ongles
  sous ses pieds
  dans sa peau
recule dans la noirceur
vers un avenir impassible

Christian Roy

publié dans le numéro 33. Cris de terrestres

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