Simon Brown. Basse-Croisière

On est jeudi. J’ai froid, j’ai mal, je suis sur le bord, je ne sais plus. Je ferme les yeux, je veux dire la bouche. Je ferme et je saute dans le panier qui saute dans les joncs. Qui flottent comme l’autre, juste assez. C’est comme ça, une chanson de nulle part, de la mousse verte, alléluia. Je me désorganise, je cligne comme du monde. Je cale correct. Ou presque. Je trépide, je passe proche, plastique sur plastique. Je me couche, je lève les bras, je prie, j’essaie de prier.

Ô ruisseau, le ruisseau pue, il mène à la rivière.
La rivière pue, elle mène au fleuve, le fleuve mène à la mer.

Oui, vraiment. Ça pue, c’est loin, ça contient tout. Ou presque. On est jeudi, je veux dire mardi. Tout est mouillé. Tout est dedans. Je flétris, je me mets en boule. C’est le centre vif, un hoquet, une confusion d’un bout à l’autre. Je me plie en trois, en cinq. Je veux aider l’amie qui aide l’amie, fleurs, foulard, miettes d’antan. J’ai trop froid, je n’ai plus de doigts, plus de crayon. J’ai les jambes en styromousse, la nuit qui tombe noire. Je n’ai jamais rien écrit, je ne veux pas non plus. Mais je crois en vous. Je prends les papiers, je fais un nid. Je mastique guirlandes, je beurre mince, je m’enroule. J’avale ma face. Je ferme si ferme. Cellophane, apparences. Apparences, cellophane. Je m’enligne, j’espère, je flotte jusqu’à la fin.

Ô ruisseau, ô rivière.
Ô le fleuve, ô la mer.

Mais il n’y a pas de fin. Il faut le dire. J’espère toujours, depuis toujours. Tout est dehors, tout s’emporte d’un plein vouloir. Pétrochimique. Pariétal. Ça tient bon. Ça tient comme ça peut. Les joncs, je veux dire la vitre cassée. Ça tient à l’ensemble. Feux doux, feux sur la batture, fier flottement aux détritus. Douceur à celleux qui pleurent un départ. La branche, les branches, accrochez-nous. Bonne nuit cousines, bonne nuit cousins. Tout est mouillé, tout est parti. Tout est très loin dans le courant.

Simon Brown

Image : Laura St. Pierre, Jardin Spectral (St-Laurent 1), jet d’encre sur hahnemuhle photo rag, 2017.

Publié dans le No 26. Entre ciel et mer. Rencontre Est-Ouest
Numéro conjoint des revues Ancrages et À ciel ouvert

 

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