6. La Compagnie Créole

MARIE-ANDRÉE
Chaque jour comme un rituel de beauté,
le vent efface toutes mes traces de raquettes de la veille.
La rivière remet une nappe ben neuve
et ses quintes de toux font des tornades de broderie.

Je monte la rivière jusqu’à la source de ma chaleur.
Sa glace déroule son pelage et je m’installe.

L’eau coule sous mes pas,
là où ma peur murmure ses incantations.

Partout autour,
Y’a juste le claquement de doigts des épinettes,
qui tape le rythme de la forêt
et une voix, la mienne,
qui chante La Compagnie Créole pour me rassurer d’être tu-seule au fond du bois.,

Personne qui m’attend,
personne qui me cherche,
je savais pas que ça faisait ça.
Je m’arrête et je prends une poffe de l’étendue miraculeuse,
avec la gratitude pas compliquée d’être en vie.

Je m’enfarge dans le corps de la neige folle
et jouis avec les mains du soleil de moins trente.

Y’a juste les pics-bois qui font clignoter le silence.

Pis y’a mon cœur, c’te calvaire de manège de Beauce Carnaval
nourri aux escabeaux du désir, aux fossiles du manque,
aux boules de bingo et au théâtre de l’internet,
mon cœur de chocolat mou
devient enfin un simple balancement d’arbre mort
qui s’égraine dans l’indigo de la neige

C’est quand on est seule que le monde nous remet à notre place,
notre place minuscule, notre place immense.

 

Marie-Andrée Gill

textes publiés dans le No 20, Solitudes

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