JEAN
Allo ?
Allo ?
Y a quelqu’un ?
Allo ?
Quoi ?
C’est quoi ce caca-là !
Faites le 3 pour Sabine.
Faites le 4 pour Réjean.
Faites le 5 pour Marine.
Allo !
Pour Séverine faites le 6.
Maudite marde ! On n’en finit jamais de parler à une machine ! Intolérable ! Totalement imbuvable !
Je fais le 5. Marine, ça va aller. Marine, tu vas être capable de m’aider, hein ! Tu ne connaitrais pas Marine Le Pen par hasard ?
Allo ?
Je voudrais parler à un humain. Pas à un numéro. Je me souviens d’une série, à la télé, quand j’étais jeune : le héros arrêtait pas de hurler : « Je suis pas un numéro ! Je suis pas un numéro ! »
Allo ? ! Maudite machine de grosse marde de trou de bine ! Je voudrais signaler le fait que mon adresse postale a été changée sans que je sois averti. Je veux parler à quelqu’un qui travaille pour la municipalité. Y a quelqu’un dans c’te baraque-là ? C’est peut-être même une machine qui a changé mon numéro civique…
J’vais me choquer, là. Allo ? J’vais pogner les nerfs. J’suis plus capable. Plus capable d’endurer les robots !
J’ai fait le 5. La machine continue :
Pour parler à Mario, faites le 7.
Pour parler à Marjolaine, faites le 8.
Encore un peu et E.T. se connectait en faisant le 9 !
Pour parler à Krishna, faite le 10 000 ! Si ça continue, m’a tuer !
Je veux me plaindre. On peut pas changer une adresse postale comme ça, tout bêtement. La seule personne qui m’écrivait des vraies lettres depuis deux ans, les seules lettres qui sont autre chose que des dépliants ou des factures, eh ben, cet ami-là m’a prévenu que ses dernières lettres lui ont été retournées, à cause des changements à mon numéro civique. Je capote !
Aaaaaaaah !
J’ai fait le 8. Marjolaine, mon amour, ma belle Marjolaine d’amour, réponds-moi, sinon, je prends mon char et je m’en vais drette-là détruire toute la machine qui parle sans me parler en ce moment. Maudite machine de tu-seuls de débiles profonds ! À grands coups de croc-bars, je détruis le campe. Advienne que pourra. Mais avant que la police m’arrête, j’aurai craché partout !
Allo !
Je raccroche. Ça va me calmer les nerfs. Fini les lettres que mon ami m’envoyait, avec de vrais mots, avec toutes sortes d’humanités, même quand y était pas fin, même quand y manquait de tact. A moins que je passe aux actes et que je fasse un homme de moi. Attention, ma sale gang de machines : j’arrive !
textes publiés dans le No 20, Solitudes