Frémissement du dos. Eaux bouillonnantes. Je te parle et tu ne réponds pas. Dans nos yeux maladroits, l’impuissance du nous. Un bouche-à-bouche muet, une vibrance puinée. Tu caresses les lettres de mon corps, tutoies mes os. En moi coule un long vertige que tu recueilles d’une main s’aventurant sous les draps de ma peau. Quelle définition pourrait-on donner à nos ébats de langage, à la pulsion des cœurs née sous la soie des cheveux, l’angle de la nuque, des épaules ? Tu descends vers l’humidité du mot, tu réveilles la respiration de la page, le cri silencieux de la matrice. Nous sommes passés du vous au nous, de toi à moi. Nous sommes passés de la pudeur à l’envie, de la retenue à l’ivresse. Ce tu ne nous tue pas. Ce tu nous ouvre les portes de la phonétique des muscles, de la nudité des voix. Ce tu écarte les paroles, laisse béante la bouche inassouvie. Ce tu engendre peu à peu un flot de verbes intarissables qui se posent sur chaque phalange de nos doigts, qui glissent sur le col de nos phrases. Ce tu s’accouple au je. Ce tu donne naissance au nous, à des syllabes contradictoires qui s’enchaînent au rythme de nos jeux de langage : réponses instantanées, sans faux-fuyant. Réponses des lèvres, du regard, du lobe de l’attente qui se fait désir, réponses de notre for intérieur. Tu marches à pas feutrés à l’entrée de mes bras, cherchant à épeler mon nom de ta langue, à te lover dans l’interstice de mon cœur. Mais les muscles tendus cèdent la place à la virtuosité du passage étroit, à la langueur du je dans le jeu du tu. Plus aucun souffle. Tutoie-moi en silence, sans faire de bruit. Tutoie-moi en me prenant la main, si ton écriture n’est pas assez forte pour dépasser la syntaxe du corps. Laisse ton fluide noyer ce qui subsiste de nous tout au bout de ce long voyage dont nous ne reviendrons pas. Ne parle plus si c’est pour partir. Ne pars pas si c’est pour parler. Sache que de notre intimité ne naîtra plus aucun son. Passe tes lèvres sur mes mots, sur nos lettres enlacées. Repose ta tête contre mon sein. Caresse nos je et nos tu pour qu’il ne reste, à l’issue de nous, que le tutoiement inassouvi des cœurs.
Isabelle Larpent-Chadeyron
Texte publié dans le 30e numéro Traces. Rencontre Nord-Sud