Jean Babineau. La bosse et les attaches

Jean Babineau

Quand tu perds tout, tu perds tout. C’est ben simple. Alors, il faut s’arranger pour que ça soit pas un fiasco. Ne pas se faire manger la chemise sur le dos. Vaudrait mieux s’attacher que de flamber tout nu. Tout est dans la tactique. J’ai pas passé mon dernier sapin. Chus pas né hier pour vivre dans le fossette. Entre moi et mon camion, j’vas le flamber le truck. Ravoir un peu de cet argent que j’ai payé aux assurances toute ma vie. Le chemin du milieu paie pas. Prends les grands moyens. Je peux me passer du truck, mais de la bouffe, je peux pas m’en passer. L’affaire est, faut que je me fasse une histoire pis que j’en démorde pas. Pas que je suis un escroc. Les politiciens ont-tu pas pris toute l’argent de nos timbres ? I’ se disent pas escrocs pour autant. J’vas m’arranger. La lune est presque pleine, ça doit porter chance. Pis la Bud Light est bonne. Faudrait quand même que je slacke. Y a longtemps que j’aurais dû mettre de l’ordre dans ce friggin de garage icitte. Tant qu’à rouler ma bosse, j’vas la rouler… Le voilà mon gallon de gaz. Ah ! Oui, y en a assez. Du câble, j’en ai, mais des petits morceaux. De toute façon, j’en ai pas besoin de longs, longs morceaux. Tiens, une autre cigarette. Le cendrier est plus que presque plein, un peu comme la lune qui reflète sur le lac noir. J’vas le faire cuire ce camion-là que je peux pas payer. Voyons don’, l’important est de se construire une histoire et de retenir une face de plomb où rien ne passe. J’vas me gréer d’une histoire que je crois, comme les politiciens. Valcourt n’a-t-i’ pas d’l’air de croire à la sienne ? Je dois pratiquer à m’attacher avec ces morceaux de câble. Le succès se calcule selon la pratique. Je dois slacker sur la boisson. Ça va pas ben mon affaire. Bonne chose que c’est yinque de la Bud Light…I’ faut que je convainque la police. A va venir faire un tour, c’est certain. Quoi leur raconter ? Mets le blâme ailleurs. Implique d’autres personnes. Élabore une tactique. Un gars peut tout préparer dans son garage. C’est le lieu idéal. Avec ces cordes tachées d’huile… Un gars est maître dans son garage. Voyons, essayons. Des vieilles cordes huileuses. Pas assez pour se pendre. Comment s’amarrer seul ? Bonne chose que j’étais dans les scouts. Je connais plusieurs nœuds. Tout le monde a sa croix à porter. Chiac vert ! ces amarres-là sont huileuses. J’ai halé une load de stuff avec ça. Saint-Jérôme, c’est pas de la corde à écorner les bœufs. Saint-Gosile, faudra que ça fasse. Tant qu’i’ y aura de la bière dans le frigidaire, j’fermerai ma gueule, pis je laisserai faire, dit Georges Langford.  By appointment of Her Majesty the Queen… Saint seigneur de Saint-Boniface. Holy, dans la soutane. Des serpents huileux… Une autre cannette vide. Pop ! J’aime le bruit que ça fait quand ça ouvre. Ça relâche de la pression. Tu mentiras en étant sérieux. En les regardant dans les yeux. Faudra pas être ivre. Pas avoir les deux yeux dans le même trou. Pas être ivre mort. La route 215 offre des avantages. Y ben des places où y a personne. Je viderai le gaz sur la housse dans la boîte de mon truck avant de partir. C’est plus facile que de se flamber le linge sur la 215. Y aura juste à jeter un coup d’œil dans les deux directions, pis si c’est clair, j’aurai au moins quelques minutes pour préparer mes affaires. Je m’attacherai, puis je jetterai une allumette sur la housse. L’air fera le reste. Pas besoin d’emporter le gallon de gazoline avec moi. C’est bon d’avoir le frigo dans le garage. T’as rendez-vous avec toi et ton truck et la police demain. C’est pas vrai que j’ai fait les paiements sur le truck pendant 34 mois pour me le faire prendre maintenant. Ces amarres huileuses sur le béton huileux, des serpents… Si elles se mettaient à bouger, ça serait la dernière chose que j’aurais besoin… Quand t’es rendu au bout de ton câble, faut faire attention. Prendre soin du numéro un. Ah ! quand t’as pas assez de câble pour te pendre… Crinque-toi pas trop mon tchum, t’as une grosse journée demain. Oups ! Tout bouge….

…mon djeu seigneur, qu’est-ce qui m’a arrivé ? I’ fait clair dehors pis j’ai la face sur le béton huileux. Ayoille ! la tête… Pis quoi c’est cecitte ? Des attaches…. J’avais pas pensé à ça. Le chariot a chaviré… Les attaches… Ça résout tous mes problèmes. Tu devrais savoir mieux que t’accrocher à un chariot quand tout tourne. Quel mess… Ayoille… Tcheux bosse ! Ça va marcher pour moi. Fitter dans mon histoire. Vous voyez, y avait c’t’e gars icitte, i’ était stuck sur le bord de la route, j’ai arrêté, un autre a ressorti, i’ m’ont forcé à les conduire jusqu’ici, parce qu’i’ y a personne icitte, pis i’ m’ont battu, volé, attaché, pis i’ ont flambé mon truck ! Tout ça avec une bosse bien visible dans le front. C’est aussi bon qu’un témoin. Les attaches… J’en mettrai une autour de mes pieds, une autre autour de mes poignets et tout est fait dans une minute. Pis si la police s’en sert sur les manifestants, pourquoi pas moi sur moi-même ? J’emporterai le gallon et j’aspergerai le truck. I’ va flamber dans un bloc de lumière. Un gros feu de joie. Ça brûlera les empreintes. Ça va être beau sur la 215 en ce beau jour d’août ! Et quand le chèque des assurances rentrera, je pourrai acheter de la bouffe, de la booze pis des cigarettes.

 

Jean Babineau

Texte publié dans le no 8 Jeudivers

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