Janice Durant. Lifestyle

Guy Arsenault, gouache, 1990 (Droits de reproduction : Maryse Arseneault)

faze 1 – l’évasion 
 
J’ai toujours cru que moi aussi, 
j’allais profiter, 
pour mon évasion, 
d’une migration d’oiseaux sauvages
 
Mais non 
 
On part les 3 ensemble  
dans le char à Magritte  
pour l’aventure de voir les rocheuses  
et de vivre ailleurs  
n’importe où 
cent vingt-sept piastres dans les poches 
une bouteille de Kahlúa  
un crâne de vache 
pi des maudits gros Cerwin Vegas  
dans l’back seat  
 
on traverse les lignes  
– le gaz est toujours plus cheap aux états 
on se perd un petit peu  
mais on arrive pareil  
3 jours et 51 heures de drive plus tard 
homeless, but contentes. 
  
Magritte pi moi 
on dort dans le car  
on se lave aux hotsprings  
on boit du vin rouge en turlutant un p’tit peu trop proche des chutes  
pi on rit à la folie  
en planifiant notre parodie  
intitulée : 
“Lifestyles of the Poor and Homeless” 
 
faze 2 – hippie trash 
 
je veux vivre n’importe où ailleurs  
que dans une maison typique.  
Les murs m’oppriment.  
Les angles droits me font peur.  
Je me sens un p’tit peu comme dans Star Wars 
la scene du trash compactor  
quand qu’les murs se renferment.  
J’attends yinque que 2 geeky robots me sauvent la vie.  
Je peux pas me décider qui c’que j’aime le plusse 
R2D2 parce qu’il parle en skweaky bip bobiip,  
ou C3P0 avec son accent, son anxiété pi sa shiny nervosité.  
 
J’achète un sleeping bag pi une tente.  
Le matelas de camping viendra plus tard  
…ça sera le gros luxe.  
 
faze 3 – trust issues 
 
j’ai soaké dans beaucoup de hotsprings au BC  
avant de me rendre au Yukon  
mais y’a rien qui m’a préparée à l’expérience  
de Liard Hot Springs  
(dans le temps que la deuxième pool était encore ouverte) 
C’est là que j’ai commencé à vraiment relaxer  
pi à me dire que  
la vie pouvait être belle.  
J’ai voulu chercher les moments  
magiques,  
les endroits  
puissants,  
jouer avec l’énergie,  
feeler toute la texture du fabric de la réalité  
truster  
l’univers 
pi tendre l’oreille pour vraiment bien écouter  
et savoir voir avec mon cœur.  
 
Dans ma tente,  
j’entends les bear bangers  
détoner  
dans la nuit.  
Les ours sont proches,  
je le sais,  
mais j’m’endors pareil. 
 
faze 4 – homeless 
 
on est beaucoup à être  
à un poil  
à deux doigts 
à juste une miette 
d’être homeless,  
mais on s’en rend même pas compte.  
 
Les sans-abris,  
c’est du monde de même,  
c’est pas du monde comme toi pi moi.  
C’est ça qu’il faut se dire  
pour continuer à vivre  
sans être fazé 
en passant tous les jours 
devant du monde comme moi pi toi 
dans la rue.  
 
Un breakup.  
C’est tout ce que ça prend.  
Beaucoup moins drôle avec un enfant,  
c’te lifestyle-là.  
 
On découvre quand même 
des nouveaux jouets,  
des nouveaux livres  
de la nouvelle musique  
quand on fait du “housesitting”,  
mais faut jamais dire le mot  
homeless.  
L’été, on fait du camping.  
Ensuite, d’autre housesitting.  
On prend soin des chats des autres (comme Pantoufle),  
des chiens des autres (comme Taïga)  
des plantes des autres (comme le Yucca elephantipes).  
 
Deux ans plus tard, on s’installe dans notre première place,  
une petite purple shed  
en arrière d’une vraie maison.  
Anne-Louise nous donne du stuff de cuisine,  
d’autres amis, un futon.  
Minikim s’assomme quasiment  
en m’aidant à faire du Feng shui  
dans c’te petite place-là.  
catégorie : “tools and mementos” 
-good times. 
 
 
faze 5 – la rant 
 
on sait pas le dommage que ça fait 
de perdre l’idée de sécurité 
c’te social security net-là 
qu’est pu nulle part pour attraper personne 
les pauvres, les vieux 
les angoissés, les différents 
le monde qu’ont d’la misère,  
qui peuvent pas travailler 
qui savent même pas pourquoi 
ni par y’où commencer 
Y’a pu rien pour les attraper  
quand c’qu’i’ sautent 
 
le dommage que ça fait 
à notre soul 
de savoir qu’on fait partie 
de c’te société-là 
qui accepte que des êtres humains passent l’hiver dehors  
dans la rue 
– l’hiver, là !  
pi qu’on peut rien faire –  
sauf p’t’être essayer de bien voter 
pi… 
poser une couple de questions : 
 
Comment de temps que ça prend  
pour faire des blocs appartements super basic  
ou des “emergency war time houses” ?  
Pourquoi que toute l’énergie pi les ressources de construction s’en vont pour  
bâtir des luxury condos ? 
On va ti ever arrêter de flipper des maisons ? 
Pourquoi que l’argent rend le monde aveugle à ce point-là ?  
“Une maison, c’est ti vraiment yinque un investissement ?”  
Un logement abordable, c’est ti la même chose qu’un pied-à-terre ? 
395 mille piastres pour 600 pieds carrés ? ! ? wtf ? 
on deserve ti pas toute un toit sur la tête ? 
 
 
faze 6 – MDMA 
 
j’ai 87 ans  
ma vie se passe toute  
entre 4 murs  
les angles droits sont là,  
wayyy way trop proches.  
un robot rouvre la porte 
à chaque jour  
pour m’apporter à manger  
pi vider mon pisse-pot.  
Sa fake-human voix me demande  
tout l’temps du même ton :  
“et comment vous vous sentez aujourd’hui, Madame ?” 
sa syntaxe me tappe su les nerfs 
mais je suis obligée de répondre : 
-“bien”  
Sinon,  
une petite aiguille pop out de sa “main”  
qui se pose sur mon bras.  
J’sais pas qu’est-ce que c’est,  
but c’est pas du MDMA.  
J’sais pas pourquoi.  
I mean why not ?  
why the hell not ? 
à c’te point icitte 
 
Mais on peut pu même poser de questions.  
C’est pu comme c’était avant.  
Le monde a… well, 
le monde a pas vraiment bien changé.”  
Je m’ennuie de la musique, des arbres et des ami.e.s. 
 
faze 7 – what if si que 
 
faze 6 était, of course, 
juste un mauvais rêve. 
La fin de l’histoire s’invente pas comme ça 
j’ai pas 87 ans 
but still 
j’me d’mande encore  
what if si que… 
ma maison c’est pas vraiment mon che-nous 
what if si que…  
il faut faire un choix entre une maison pi un che-nous 
what if si que… 
je choisis un che-nous 
pi what if si que… 
en choisissant un che-nous,  
toute la whole planète devient che-nous ? 
Ça serait-ti pas cool ? 
sauf, of course, pour la partie about les feux pi les floods 
pi les hurricanes 
y’a pas une compagnie d’assurance qui va assurer 
toute une whole planète 
“rentor’s insurance declined” 
 
so yeah… 
si vous m’cherchez 
je serai là,  
au pied d’un baobab 
dans la lune 
à starer l’ciel 
écouter l’vent 
à attendre  
pour voir 
une nouvelle migration d’oiseaux sauvages. 

JANICE DURANT.

Texte publié dans le No 41. HABITÉ.E.S

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