(Émilie Bernard. Planche de montagne VIII. 2023)
Je suis loin d’ici
Arraché à moi et aux mues de mon regard
Ailleurs est devenu ma terre natale
Cette contrée argileuse nichée au creux d’un ravin
Où les ouragans sont plus doux
Et où les désemparés jettent leurs espoirs
Au fond d’un ciel écœuré
Je les imite depuis des temps voraces
Confortablement déboussolé sur mon lit de remords
Je dors
En écoutant le reflux des souvenirs
Gargouiller ses inconsolables lambeaux
Et gribouiller dans ma trachée
Des adresses introuvables
Tu t’adaptes si férocement
Chacun de tes soupirs sonne juste
Reconduit aux frontières de ce pays fragile
Où l’on négocie les distances
La peur tamponnée sur la langue
Et l’âme avachie sur des champs de pavot
Où tu jures de retourner te battre
Les déserteurs labourent leurs lopins de bravoure
Pour y semer la discorde et la folie
Tu n’as plus ta place dans leur combat
Détourne le regard, crache mon nom
À force de torticolis, tu n’as plus eu besoin de fermer l’œil
Ta pupille éponge le néant
Depuis que la terreur souffle dans les montagnes
Je suis parti avec toi un jour de poussière
Parce que les colonnes de sable sont invisibles pour qui s’y adosse
Parce que l’asile est une destination comme les autres
Jusqu’à ce que l’écartèlement rêve à de futures latitudes
Maintenant que les racines de mes intentions pourrissent
Dans ce marécage continental
L’errance décourage tes pensées de percer ton crâne
Le mur du silence empile ses moellons
Éviscérés, apatrides
Tes mots perdent le fil que j’avais tissé pour eux
Quand tes vrilles cherchent un coin de lumière à étrangler
Les coups de machette déforestent mes horizons
L’attachement n’enfante que la violence
La sève et le sang irrigueront la mémoire d’autres survivants
Qui végètent au bord des routes interminables
Les points de chute n’en sont que plus vertigineux
Toi et moi sommes plantés là, dans ce jardin incendié
Le charbon des adieux a marqué nos visages
Pour en masquer la ressemblance
Aucun miroir ne saurait recoller mon sourire
Ni retrouver ton reflet
L’ombre que nous partageons n’a toujours pas choisi
Lequel des deux sacrifier
Le bouturage de ma douleur dans ta salive
Ne connaîtra pas l’échec
L’enracinement du passé résiste
Aux cris comme aux intempéries
Mais ne crois pas que les fleurs de béton armé s’étiolent
Ou puissent cimenter une quelconque résilience
Car jamais je ne te pardonnerai
xavier gros
Texte publié dans le No 40. Déraciner/Enraciner