TÉOFIL ZÉPHYR
Les communs des mortels athéniens assemblés en masse au port de Pirée
jubilent à l’approche du navire de Thésée, vainqueur du Minotaure.
Finies ces lugubres loteries pour déterminer, à chaque année,
les sept Athéniens et les sept Athéniennes qui allaient fournir l’apport calorique
du monstre mi-homme mi-taureau de l’ile de Crète,
mugissant dans le labyrinthe géant sous le palais de Cnossos.
Les citoyens de la polis s’attroupent autour du navire,
le hissent sur leurs épaules et marchent jusqu’au Temple de la Renommée,
où ils déposent le vaisseau au pied du maitre conservateur,
celui qui va, avec son équipe de prodigieux charpentiers de marine,
réparer toute planche de bois pourri, recoudre toute section de voile déchirée,
remplacer tout bout de corde effiloché. À perpétuité.
Afin qu’Athènes n’oublie jamais l’exploit de Thésée.
Trois siècles plus tard, l’ancien navire parait tout aussi resplendissant
qu’au jour de son départ vers la Crète.
Témoins d’une restauration récente, deux illustres philosophes se torturent
le cerveau avec les interrogations suivantes :
– Étant donné que chaque partie du bateau : son mat, sa poupe, son plat-bord, son aplustre, sont désormais constitués de pièces de rechanges,
s’agit-il toujours du navire de Thésée ?
– Ou est-il devenu autre ?
Paul Bossé
publié dans le numéro 39. Corps-texte : mécaniques