Paul Bossé. L’alcool

TÉOFIL ZÉPHYR
J’ai toujours aimé l’alcool.
C’est mon vice !
Blâmez-le sur les poètes : Baudelaire. Apollinaire. Daoust !
Tout ce lyrisme, ces effluves, ces mystères.
Je me souviens très bien ces époques où la santé publique
lançait ses avertissements :
fallait limiter ses consommations de breuvages alcooliques,
pas plus d’un verre de vin par jour, une bière max.
Puis une mise-à-jour : la portion maintenant recommandée :
que deux consommations par semaine ! Quel blasphème !

Rhum, whiskey, pinot noir, mezcal, porter, single malt, porto,
chardonnay, pastis… cul sec ! !
Mon foie, il fait ce qu’il peut, pendant le temps qu’il faut,
mais la seconde sa capacité de filtrage baisse d’une coche,
je consulte mon catalogue Canadian Wire et je m’en commande un tout neuf.

Mais pourquoi se limiter aux pièces qui ne font que reproduire
les mêmes fonctions que celles qu’elles remplacent ?
Au marché noir, on peut se procurer toutes les modifs
que son cœur artificiel désire.
Des poumons-branchies qui permettent de respirer sous l’eau
pendant des heures.
Un troisième bras pour devenir un batteur jazz écœurant,
ou un Casanova tectonique.
Des implants rétiniens qui permettent de supprimer le moche, le disgracieux.
Pour les oiseaux de nuit, des yeux d’hiboux derrière la tête.
Un nez électronique qui avertit d’une vapeur dangereuse.
Des oreilles superfines capables d’entendre les fréquences ultrasoniques,
de convertir des voix grinçantes en tons doux, apaisants.
Une peau intelligente dont le ton et la texture sont modifiables :
pores climatisés pour l’été, pores chauffants pour l’hiver,
avec un système actif de gestion qui maintient les surfaces extérieures lisses
et exemptes de rides.
Une colonne vertébrale garnie de nanodiamondules qui permet une capacité de charge de plusieurs tonnes.
Et là, je ne vous parle même pas de ce qui se trouve dans les catalogues
du marché noir foncé…

Paul Bossé

publié dans le numéro 39. Corps-texte  : mécaniques

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