A.M. Matte. Corps puce

France Bergeron, Sans titre, encre.

Mon bassin

Longtemps, mon bassin ne savait pas qu’il se sentait seul.

Mon bassin ne savait pas qu’il aimerait porter, ne savait pas qu’il aimerait avoir un petit bassin, des mains, des bras, des pieds, des jambes, un visage, nichés en lui.

Mon bassin en a fait l’expérience une fois et est triste – juste un peu – de ne pas avoir eu la chance d’être à nouveau un nid.

Mes pieds

Mes pieds attendent avec impatience le soleil, l’herbe, le sable entre leurs orteils.

Mes pieds seront heureux de porter des sandales, des bagues d’orteil et du vernis.

Mes pieds ont apprécié leurs vestes d’hiver – rouges, bleus, rayures, chats, boucles, cœurs,

mais ils ont envie de respirer et de ne pas avoir froid, pour une fois.

Mes cheveux

Mes cheveux sont timides, ils se sont clairsemés depuis l’âge de dix ans.

Mes cheveux ont cherché artificiellement du corps, et ils se sont cassés, tranchés sous une permanente.

Mes cheveux sont longs et je les coupe parce qu’à quoi ça sert.

Mes cheveux apprennent, chaque soir, à être bouclés le lendemain.

Mes cheveux découvrent qu’ils sont heureux même lorsqu’étouffés sous des perruques ;

et au fur et à mesure que mes cheveux deviennent de plus en plus fins, ils savent qu’ils ont en elles des remplaçantes.

Ma colonne vertébrale

Petite, je croyais qu’elle s’appelait «  colonne verte qui branle  » et elle était constamment arrondie vers un livre.

Ma colonne vertébrale s’est réveillée il y a quelques années, ne se courbant plus au niveau du cou, s’allongeant, s’affirmant, trouvant un moyen de se rallonger bien qu’elle ne fasse partie que d’un cadre d’un mètre cinquante.

Ma colonne vertébrale est courte, mais puissante.

A.M. Matte

Texte publié dans le No 36. En corps

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