Henri-Dominique Paratte. Le cri du tcheur

Il est entré dans le bar Beaux & Belles avec

Sa mèche rebelle

Son ceinturon noir portait en boucle le pavillon

Des Broussard de Beausoleil

Au début certains avaient cru que c’était un drapeau sudiste

Et lui un petit gars de bicycle

C’était quoi ça, un rebelle acadien ?

Ça mangeait quoi l’hiver ? Des pinottes ? Du fricot ? Des poutines râpées ?

Du gras ? L’arbre, ou l’écorce ?

Le pianiste lui-même était décontenancé.

« Ne tirez pas sur moi !  » s’écria-t-il. Enfin, pas tout à fait

dans ces termes-là…ce français-là c’est le français policé des films. Il dit  :

«  Shoote-moi point, man !  »

«  J’ai point d’gun  », a rétorqué le révolutionnaire. Je suis un tendre, je n’aime pas voir le sang couler. Mes balles, ce sont les mots ! Mon armurier, c’est les Éditions d’Acadie. Mon arsenal, il est dans ma musette, dans mon tcheur, dans ma tête. Je vais vous paqueter de mots, vous substantiver, vous adjectiver, vous faire barachoisir !

L’heure du révolutionnement se cristallictise !

Je vais vous déculturer par la mouvague de mon mascaret nouveau !

Je vais vous déraciner le rhizome de l’assimilation qui nous assimilate comme si que la langue acadjenne était emprisonnée encamisolée de force dans une méthode Assimile !

Je vais vous paraboler l’ostensoir de la dérision je vais vous obstructionner la raison je vais vous faire virer la cervelle à l’envers comme dans le bar chez Raymond je vais vous jazzer les écorniflettes vous faire voir des marionnettes je vais vous poétiser les oriflammes je suis le Zorro de la côte acadienne je suis l’Adam et l’Eve d’un monde nouveau et le serpent itou

Je vous parle du paradis

Ils y croyaient, nos ancêtres, au paradis terrestre

Ils avaient même nommé un village en son nom

Venus de l’Atlantique en Migmagi

Les Leblanc les Richard les Broussard les Giroir les Trahan les Aymar et tous les autres dont la litanie de noms sonne comme un appel de la terre nourricière

Le monde entier avec nous et nous au cœur des racines rouges où l’eau rejoint le ciel

Quand le soleil fond dans l’eau de nuit sur la baie

Comme une grande bénédiction

Il s’assit au piano et se mit à chanter tout en plaquant quelques accords

Notre paradis c’est ici, c’est pas ailleurs

Moi le rebelle qu’ils disent mais prophète aussi comme tous les poètes dans ce pays de paroles et de poésie

Nous nous construisons dans un grand chafrail de mots un pistroli de noires et de blanches un two-step à mille temps

Je suis un flux continu de sons de cris et vibrations comme la mer

Toujours recommencée

Je suis moi je suis vous itou nous sommes le frolic et le tintamarre

Démultipliés fourrés aliénés peut-être mais

En bonne voie de libération !

«  Allez, on joue à quatre mains ! Et on chante !  »

On est tous ensemble mais pas tous pareils ni tous ni

toutes

Ici pour un bon boutte

La chorale se mit à danser

Il a mis sa casquette à la John Lennon

avec sa main gauche, de la droite il pianotait

Working class hero

Avant de quitter le bar il a dit  :

«  À l’an nouveau, embrassez-vous sous le gui

En mémoire de moi !  »

On a continué à chanter longtemps

En mémoire de lui

Rotchild Choisy, 13- 19.22 composition Vile ville, peinture acrylique, 2019.

Henri-Dominique Paratte

publié dans le numéro 33. Cris de terrestres

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