Il est entré dans le bar Beaux & Belles avec
Sa mèche rebelle
Son ceinturon noir portait en boucle le pavillon
Des Broussard de Beausoleil
Au début certains avaient cru que c’était un drapeau sudiste
Et lui un petit gars de bicycle
C’était quoi ça, un rebelle acadien ?
Ça mangeait quoi l’hiver ? Des pinottes ? Du fricot ? Des poutines râpées ?
Du gras ? L’arbre, ou l’écorce ?
Le pianiste lui-même était décontenancé.
« Ne tirez pas sur moi ! » s’écria-t-il. Enfin, pas tout à fait
dans ces termes-là…ce français-là c’est le français policé des films. Il dit :
« Shoote-moi point, man ! »
« J’ai point d’gun », a rétorqué le révolutionnaire. Je suis un tendre, je n’aime pas voir le sang couler. Mes balles, ce sont les mots ! Mon armurier, c’est les Éditions d’Acadie. Mon arsenal, il est dans ma musette, dans mon tcheur, dans ma tête. Je vais vous paqueter de mots, vous substantiver, vous adjectiver, vous faire barachoisir !
L’heure du révolutionnement se cristallictise !
Je vais vous déculturer par la mouvague de mon mascaret nouveau !
Je vais vous déraciner le rhizome de l’assimilation qui nous assimilate comme si que la langue acadjenne était emprisonnée encamisolée de force dans une méthode Assimile !
Je vais vous paraboler l’ostensoir de la dérision je vais vous obstructionner la raison je vais vous faire virer la cervelle à l’envers comme dans le bar chez Raymond je vais vous jazzer les écorniflettes vous faire voir des marionnettes je vais vous poétiser les oriflammes je suis le Zorro de la côte acadienne je suis l’Adam et l’Eve d’un monde nouveau et le serpent itou
Je vous parle du paradis
Ils y croyaient, nos ancêtres, au paradis terrestre
Ils avaient même nommé un village en son nom
Venus de l’Atlantique en Migmagi
Les Leblanc les Richard les Broussard les Giroir les Trahan les Aymar et tous les autres dont la litanie de noms sonne comme un appel de la terre nourricière
Le monde entier avec nous et nous au cœur des racines rouges où l’eau rejoint le ciel
Quand le soleil fond dans l’eau de nuit sur la baie
Comme une grande bénédiction
Il s’assit au piano et se mit à chanter tout en plaquant quelques accords
Notre paradis c’est ici, c’est pas ailleurs
Moi le rebelle qu’ils disent mais prophète aussi comme tous les poètes dans ce pays de paroles et de poésie
Nous nous construisons dans un grand chafrail de mots un pistroli de noires et de blanches un two-step à mille temps
Je suis un flux continu de sons de cris et vibrations comme la mer
Toujours recommencée
Je suis moi je suis vous itou nous sommes le frolic et le tintamarre
Démultipliés fourrés aliénés peut-être mais
En bonne voie de libération !
« Allez, on joue à quatre mains ! Et on chante ! »
On est tous ensemble mais pas tous pareils ni tous ni
toutes
Ici pour un bon boutte
La chorale se mit à danser
Il a mis sa casquette à la John Lennon
avec sa main gauche, de la droite il pianotait
Working class hero
Avant de quitter le bar il a dit :
« À l’an nouveau, embrassez-vous sous le gui
En mémoire de moi ! »
On a continué à chanter longtemps
En mémoire de lui
Henri-Dominique Paratte
publié dans le numéro 33. Cris de terrestres