Marc Lapprand. Histoires de la Terre

Frédéric Gayer, Seuls dans la ville 3, sérigraphie, 2021. Format : 30 X 40 cm sur papier Somerset.

Comme je t’aime la Terre
Qui volcanise à Fagradalsfjall
Et qui inonde à Sydney

Naguère, tu pétais à Fukushima
Là où d’autres gros jets eurent lieu
Moins heureux moins heureux

Toi qui fumeroles de joie
Et rases forêts et villages
Et nous boucanes en diable

Comme j’aime l’idée
De ta fine croute
Un al dente d’écorce

Et tout aussi ceci
Ton cœur de feu
Ton corps gracile

Ton joli chaos
Qui nous met K.O.
Et nous énuclée

Comme j’aime l’idée de
La théorie de la Terre
De Buffon au Jardin du Roy

Une grosse roche
Ronde qui tourne
Et s’use dans l’espace

Comme j’aime l’idée
Du météore géant
Qui anéantit le T-Rex

Et qu’un pas de côté du cerf
Dérange durablement
Une colonie de fourmis

Et que des tractopelles
Rasent une montagne
Pour créer une plage

Et qu’un couronné virus
Te dicte la marche
(ou crève) à suivre

Et que des poètes
Inlassablement
Poétisent à tout vent

J’aime quand tu baves
Quand tu submerges
Quand tu brûles

Ô tes belles coulées
Ô tes beaux glissements
Progressifs du plaisir

Ah les belles tornades
Ah les beaux cyclones
À la Jamaïque

Tes nuages que
Je ne traverse plus
Tes vents furieux

Ô tes arcs-en-ciel
À la fierté gay
Qui bandent l’horizon

Je t’attends tremblement
De terre de pied ferme
Debout dans le chambranle

Ah non tu ne secoues
Plus rien tu t’en fous
Quel grand dommage

La boule indigo
La machine ronde
La boule à zéro

Le tournis tu me donnes
Le tournis d’un château
L’autre la tête me tourneboule

Tu fuses tu fizzes
Tu révolutionnes
À tout crincrin

Tu fumes en volutes
Grises âcres rêches
Tu roules au gaz

Tu nous geysères
Tu nous culbutes
Tu nous inondes

Tu nous enroules
Dans ta houle
Soute et voute

Tu nous enrages
De géants orages
Qui nous engrêlent

Et tu solstices
Et tu équinoxes
Et tu bissextiles

Et tu fonces
Et tu défonces
Et tu enfonces

Terre attirante
Terre attractive
Terre attrayante

Allô la Terre
M’entends-tu
Je te parle

Si jamais te fustige
Envoie-moi donc Pan
Le dieu de la fessée

 

Marc Lapprand

Texte publié dans le No. 29 Éloge (paradoxal)

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