GABRIEL
Y a des moments où on écrit des choses sans comprendre leur poids
J’avais écrit dans une pièce de théâtre
Au sujet d’un personnage qui ne fait pas son âge
Y dit que ça te vieillit quand le monde que t’aimes meurt
J’avais écrit ça sans comprendre à ce moment-là
Moi qui n’avais connu la mort que de loin
C’est quand j’ai entendu mon frère redire ces mots sur une scène
À jouer le personnage de cette pièce de théâtre
Quelques mois après la mort de mon grand-père
Que j’ai su ce que ça voulait dire
Mon grand-père voulait mourir sur sa terre
Celle qu’il avait piétinée labourée marché travaillée cultivée entretenu toute sa vie
Celle que ses ancêtres lui avait présentée comme un legs
Mon grand-père voulait léguer sa terre sa maison sa shed qu’on a vendue
Mon grand-père aurait voulu mourir seul à marcher sur sa terre
Qu’on le retrouve près d’un arbre qu’il n’avait pas coupé près de fleurs qu’il avait plantées sur les traces du jardin qu’il ne plantait plus dans sa cour arrière
La terre de mon grand-père
Sa marche jusqu’au lac immense de ma jeunesse qui rapetissait de marche en marche comme le temps s’accélère avec les années n’était pas pour mon grand-père un lieu de solitude
Sur sa terre il y avait un monde une vie des histoires le tracé d’un amour indéfectible un champ une montagne une forêt un lac une rivière ancrée dans la fierté la droiture la noblesse d’une existence plus forte que tout ce que la mort pourrait emporter de lui
Mon grand-père est mort entouré des siens
Loin de sa terre qui n’était plus la sienne
J’y repasse
J’y repense
Souvent
Sans savoir
Où commence sa terre où elle finit
Je me demande
Si sa terre sans son pas
N’est pas un peu seule
textes publiés dans le No 20, Solitudes