Gerboise est un rongeur. Elle ronge donc. Les ongles, les os, les placards des cabinets ministériels et le cœur. Cœur ouvert, cœur désert. Elle vit au Sahara même si certains l’ont vue dans le Gobi. Sa couleur est jaune-sable, mais celle-ci est bleue.
Son bleu n’est pas ciel, électrique, majorelle ou pétrole. Il est Français bien lys. Cette couleur est sa livrée. Tant mieux, ça se voit bien dans le sable.
Gerboise court, gambade entre les dunes. Il n’y a pas de vent. Si par hasard elle croise un humain, elle s’enfuit et se terre, quitte à se brûler. Elle sait que les bottes des militaires l’écraseraient.
Il y a beaucoup de bottes depuis un certain temps. Avant, les gens allaient pieds nus ou alors portaient simplement des sandales. Ils plantaient leurs tentes, buvaient du thé. Une vraie publicité pour le Paris-Dakar.
Un camion arrive, puis deux. Uniformes, marche, une, deux, une, deux. Foutues bottes. On a chaud aux pieds et un drapeau est hissé.
Gerboise est jolie, gerboise est tranquille. Gerboise s’habille en droits de l’homme. Gerboise négocie. Ton drapeau, ton croissant contre un polygone ? Vendu.
Des militaires disent « indépendance », d’autres répondent « force de dissuasion ». Gerboise ne dit rien. Gerboise n’est que Gerboise.
Le désert est muet. Le désert n’est pas une mer de sable et la mer n’est pas un désert d’eau. La poésie n’hydrate rien.
Oasis ! Oasis ! Ils doutent de ta présence.
Un éclair. Le soleil qui meurt en plein jour dans le Sahara. Souffle de mort en ombre portée. Une colonne de fumée, tumeur de sable en plein ciel. Les hommes sont agenouillés.
Gerboise se tient sur ses pattes arrière. Le museau dressé vers le ciel, elle renifle cet air si particulier. Gerboise crie de toutes ses forces. Un bruit de porte rouillée que la nature dégonde.
Sur le sable. Sur les casernes. Sur les tentures quelque chose retombe. Tiens, des chaussures trouées.
Mathieu Lemal
Texte publié dans le No 19