English / Mi’kmaq
Il m’est difficile de décrire l’émotion qui me saisit lorsqu’il faut que je parle de mon pays. Je ne saurais vous transmettre comme il faut la nostalgie qui me transperce le cœur. De longues années se sont écoulées depuis que j’ai quitté ma terre natale, les larmes aux yeux, la tristesse au cœur. Je m’en souviens encore comme si c’était hier. Il fallait que je me sépare de mon père. Mwen gen anpil respè pou li. Un homme pour qui j’ai beaucoup d’estime. Un rude travailleur, yon nòm vayan, mon héros. Yon ané pat sufi’m. Une année n’a pas suffi. Cette petite fille que j’étais n’a pas eu le temps de soulager ses blessures infligées par les manques du passé. Avec le temps, il a fallu que je fasse la connaissance d’un père qui ne m’était pourtant pas étranger.
Mon pays me rappelle la tristesse, le manque, le chagrin, une enfance ratée et difficile. Des fêtes où je me sentais exclue, des amies que je n’ai jamais eues, des hommes que je n’ai jamais connus. Mwen te senti’m lèd e mwen te lèd paske mwen te genyen anpil amertim, kòlè, ak haine nan kè’m. Je me sentais laide et j’étais laide d’amertumes, de colères, et de haines. La petite fille que j’étais n’avait connu que ça. Pourtant, elle est nostalgique de cette terre qu’elle n’a pas choisie, d’une enfance qu’elle aurait voulu vivre autrement, d’un passé qu’elle aurait voulu être différent. Mwen te vle viv tankou lavi yon ti lajenès, j’aurais voulu vivre des moments de joie. Mwen te vle viv de seri de plezi, j’aurais voulu garder de meilleurs souvenirs. Mwen te vle viv yon jenès ke mwen ta ka raconter, j’aurais voulu vivre une jeunesse que j’aurais aimé raconter sans mwen pa kriye, sans pleurer, sans mwen pa kaba, mwen pa triste, Sans tristesse.
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Je suis née sur une île, un petit pays non loin d’être la risée de l’ensemble des républiques planétaires : Haïti, une force culturelle débordant de richesses et de diversités. Ancien pays colonial dérivé de l’Afrique, des Amérindiens et des colons, le pays de mes souvenirs, ma terre natale, offre un voyage transaérien dont vue se porte sur une société déchirée et handicapée.
Au premier plan se dessine une mosaïque de classes sociales, où riches et pauvres se côtoient et se chevauchent au quotidien. Pétion-ville/Jalouzi : yon mariaj à ciel ouvert de quartiers résidentiels et de bidonvilles. En arrière-plan, on retrouve des marionnettes au palais national, faisant de cette société des spectateurs à dents serrées d’un jeu de théâtre loin d’être fictif.
Peuple superstitieux, spirituel et animiste, la tradition de ma terre natale est ancrée dans un vaudou culturel et religieux. Haïti, pays dont l’indépendance fut pris par la haine et dans le sang, la révolte et le dégoût, porte une couronne d’épines. Sa croix est étiquetée comme à l’époque de Jésus-Christ, coupable d’être la « reine sanguinaire ». Perle des Antilles de jadis, elle porte sur son dos le fardeau de la libération des esprits non-libres d’antan. Maintenant prisonnier d’un passé conjugué dans un présent honteux, l’Haïti est fière, sans être patriotique, d’une histoire qu’elle n’a pas conçue, d’une histoire mal apprise, d’une histoire qu’elle aurait dû vivre à vif des stigmates de ses ancêtres. Le passé se répète alors, et jamais on n’a su franchir et comprendre nos révolutions et nos guerres qui auraient dû transposer l’Haïti féodale en une Haïti du siècle des lumières, dans les mentalités et dans sa superstructure.
Fièrement hissé à son sommet, mon drapeau peau po’ w, mon joli petit drapeau se lasse d’être honoré par le chant de patriotes. « Marchons unis, marchons unis pour le pays, pour les ancêtres, marchons unis, marchons unis ». Ainsi appris à l’école, cet hymne est machinal, omis de sens à ce jeune Haïtien dont la passion est ailleurs et son avenir, sur une terre étrangère.
Le drapeau en colère, fatigué de donner vie à des rues mal entretenues, des marchés croix-bossales regorgés d’enfants orphelins, mendiants et criminels, se dit se délaver de son bleu et de son rouge tissés, par Catherine Flon, à l’époque où la rage de se libérer des chaines et du maître « Machiavel » étaient à son paroxysme. Encore, pense-t-il paradoxalement, ke menm si ayisyen an pa resevwa kek bon baton nan deyè’l, li toujou rete esclav nan tèt li. L’Haïtien libre des fouets, est esclave de sa terre.
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Immigrer.
S’adapter en terre étrangère est pour l’Haïtien un défi. Tout change, rien n’est pareil. La température se refroidit, les mentalités sont différentes, et les cultures, toutes aussi distinctes l’une de l’autre. L’Haïtien doit donc se créer une nouvelle peau pour survivre, une nouvelle compréhension de son milieu. Il doit pouvoir s’immerger dans un monde à apprivoiser.
Dans sa période d’adaptation, il apprendra à faire la connaissance de l’autre, et de lui-même. Dès lors, il sera dans l’obligation de s’ouvrir au monde extérieur. Il s’acculturera sans se perdre et s’imposera sans contraindre les lois naturelles et légitimes du pays. Au travers de son expérience, il gagnera des valeurs, et en perdra aussi. Ces rencontres et fréquentations nouvelles lui nourriront l’esprit d’idées récentes et controversées à sa culture native.
L’expérience qu’il vivra lui permettra de construire un pont entre son lui et son lui en constante évolution. Ce nouveau citoyen du monde aura, dès lors, la conscience d’une réalité nouvelle, d’une perspective mondialisée. De ce changement de mentalité naîtra son quotidien.
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Du refus aux échecs, du chômage à la disette, de petit boulot en petit boulot, des centres d’appel aux petits projets les plus hardis, sans garantie d’une stabilité financière, le jeune immigrant, intelligent et ambitieux, armé d’un bac et de compétences, est loin du rêve américain.
Le monde du travail est féroce ; il est rempli d’embûches. De ce fait, il est plus facile de survivre que de vivre. L’immigrant, tout au long de sa carrière, visera sans aucun doute le succès dans le domaine choisi. Un succès qui, par défaut, sera défini par l’autre, ou par les autres.
L’immigrant est dans le souci du papier. Un papier d’immigration, qui lui accordera le droit de demeurer sur le sol étranger. Il aura trois ans, donc trois chances pour s’en procurer. Quoiqu’important, ce papier s’obtient au prix d’un emploi adéquat, d’un travail décent, d’un travail qui lui ait souvent indigne. À CV égal, le natif gagne. L’étranger est donc dans l’obligation de produire le double du travail pour faire estimer son œuvre. Il investira, pour commencer, des milliers de dollars pour se procurer une éducation privilégiée. Un privilège qui, par la suite, ne pèsera peut-être pas lourd dans la balance du marché du travail parfois discriminant, parfois fermé.
Aucune aide n’est fournie aux internationaux, aucune bourse. L’éducation est un privilège pour l’étranger. Il faut la gagner à la sueur de son front, à 6000 $ la session. Si maman et papa manquent de fonds, on s’ajuste. D’ailleurs, n’a-t-on pas signé un contrat avec l’immigration ? Pas d’argent, pas de vie, pas de papiers, pas de vie. On devient maître de son destin : réussir ou échouer dépend du nombre d’heures passées au travail, de notre capacité à supporter le stress du manque de financement. Il faut s’inscrire la session prochaine, il faut vivre, il faut manger. On est seul, loin des parents, pris au désarroi, livré à nous-même. La solitude est cruelle, et les problèmes, immenses. Les exemples qui défilent devant nous ne sont pas les meilleurs : des étudiants, des diplômés, avec une maitrise parfois, remplissent les centres d’appel. La réalité appelle au décrochage. On fera des enfants, on se mariera, on quittera l’école et on se condamnera aux centres d’appel, sans appel. On se contente de réussir les cours, pour certain, histoire d’avoir un diplôme « de rien du tout ». On déposera des tonnes de CV, on passera des tonnes d’entrevues ; sur 1000 candidatures, on aura un quart d’espoir. Pas assez d’expérience, le quota n’est pas encore atteint. Il ne faut pas lâcher, il faut persévérer, surtout quand on est femme et qu’on est noire ; on a du chemin à calculer. L’idéal n’existe pas, il faut se battre.
Ainsi, admettant moi-même que ma conclusion est illogique et mon équation débalancée, je dirais que l’immigrant est susceptible de répéter, même s’il est éduqué, le schéma typique de l’étranger. Certains s’en sortent, mais le parcours est long et le chemin difficile. Je lève mon chapeau à tous ceux et celles qui se sont battus, qui se battent, et se battent encore pour ne pas répéter l’erreur des ainés.
Pour ma part, je me vois être comme celles qui réussissent, qui se démarquent. Je me veux être comme celles qui apportent leur pierre à l’édifice de la société d’adoption en offrant leurs dons et leurs bagages culturels. Je me veux travailler avec ces autres qui ont de quoi m’offrir de solides et de valables sur cette terre étrangère. J’aime la culture et les arts. Par-dessus tout, j’aime apprendre, partager, observer.
Sheedy Petit Jean
Texte publié dans le No 17. Faire communauté