Khalid El Morabethi. Alzheimer

Geneviève Violette. Oracle no. 38

 

Alzheimer

Alzheimer fait le tour de la table
Entièrement nu et avant de se laver le visage,
Car il hait sa nature, ses vêtements et les anniversaires, il ne voudrait pas savoir son âge,
Alzheimer veut être piano,
Non pas un vieil homme méchant mais piano,
Non pas un grand-père qui attend son petit déjeuner mais piano,
Non pas un grand-père qui attend un coup de fil de sa fille mais piano,
Non pas le chaos mais piano,
Juste pour savoir ce qui se passera quand monsieur noir jouera la première note,
Juste pour savoir si la mort l’aime,
Juste pour savoir s’il est proche de l’idéal,
Juste pour savoir s’il peut encore avoir mal.
Alzheimer fait le tour de la table,
Sa femme lui dit qu’elle peut le laisser comme un sac,
Qu’elle peut le jeter comme une pierre au bord du lac,
Si elle le tue, elle serait seule, pensait-elle,
Si elle se tue, il serait seul, pensait-elle.
Les sourires tombent,
Les regards tombent,
Les mots tombent,
La pluie tombe
Étrangement,
Lentement,
La mémoire tombe,
La salive tombe,
Une idée tombe,
Une autre feuille d’un arbre tombe
Étrangement,
Lentement,
Avec une telle beauté,
Alzheimer pense que s’il devient piano, le temps va s’arrêter,
Il pense que s’il devient piano, les cris de sa ténébreuse vont s’arrêter,
S’il devient entièrement piano, la douleur du cancer va s’arrêter,
Les battements inutiles vont s’arrêter,
Maudit cœur…
Maudite fleur,
Belle mais angoissante,
Elle est belle mais elle donne ce sentiment de haine, ce sentiment de honte,
Maudit cœur…
Maudite fleur,
Maudit miroir,
Sale tête, disait-il,
Il veut avoir une nouvelle tête,
Il veut être piano protégé par une bête
Maudite image,
Maudit stylo, maudites pages.
Alzheimer fait le tour de lui-même
Il dit : « Je ne veux pas m’enfermer dans une tombe et qu’on annonce ma mort »
Il veut être piano, bien caché tout au fond de la mer, comme un trésor.

 

Khalid El Morabethi

Texte publié dans le No 15. Chemins de vers. Poésie

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