A.M. Matte. For intérieur

(Émilie Bernard. Planche de montagne VII. 2023)



Je l’ai rêvée bien avant qu’elle soit en moi. Je l’ai bercée dans mon imaginaire. Je me suis retenue de la nommer ; ce privilège ne me revenait pas. Mais je l’appelais mienne en mon for intérieur. 
Où elle a germé. 
Où elle s’est enracinée. 
Où elle a poussé. 
Où elle s’est épanouie. 
Elle a mangé mes fringales : tomates arrosées de vinaigrette balsamique, pad see iew, popsicles aux framboises biologiques, raisins enrobés de yogourt. 
Elle a écouté ma voix et celles des chansonniers qui emplissaient mon salon, où je dansais avec elle. 
Elle s’est étirée contre mes parois et m’a donné de copieux coups. Elle a hoqueté à m’en faire rigoler aux larmes.  
Je l’ai portée jusqu’à ce qu’elle décide de s’imposer au monde. 
Je l’ai portée pendant trente-neuf semaines et les vingt-deux heures qu’elle a prises pour naître.  
Je l’ai portée jusqu’à ce que je la remette en mains propres à ses papas. 
Si émus et touchés d’enfin la prendre dans leurs bras. 
Elle a connu tout mon amour et connaîtra tout le leur. 
Je ne suis pas sa maman. 
Je suis la madame qui l’a couvée, choyée dans ses entrailles, dorlotée dans son corps, avant de la déraciner, la dégager de l’attache de son cordon ombilical et la relâcher au monde.  

a.m. matte

Texte publié dans le No 40. Déraciner/Enraciner

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