Tanya Monger. Toundra mon retour

Émilie Bernard. Planche de montagnes IX. 2023

(Émilie Bernard. Planche de montagnes IX. 2023)

je suis partie être grande 
viande sauvage en pots Mason 
mes ignorances 
 
je ne connais rien de la ville  
j’en ai honte  
mes yeux n’ont vu que la neige  
 
ma toundra changée en feuillus 
mes épinettes noires en béton  
d’une ville à l’autre 
d’une identité vacillante à l’autre 
 
j’étais une série d’absences 
une succession d’aller-retour 
retranchée  
ailleurs 
défaite de mes empreintes  
 
perdue dans mes détours 
mes désordres irrésolus 
mes questions sans réponse  
j’ai dû attraper la vie d’une autre  
 
mes solitudes se bornent  
à inventer des attaches 
toujours trop frêles 
les repères ne poussent pas racines 
ils ne poussent pas racines  
 
mes pas dans la toundra sont droits 
ailleurs je tangue 
à demi 
le froid du Nord m’enracine 
le lichen me fait louve 
rien de moi ne subsiste ailleurs 
mon centre au Nord-Est 
le compas de toutes mes multitudes 
 
ma vraie maison  
sera toujours  
sphaigne, tourbe, carex et laîches  
sentiers qui ondulent  
loin de tes rectilignes  
 
je sais la beauté des horizons 
faire danser les aurores  
boire les rivières 
je sais l’odeur des chicoutés    
qui rougissent les plaines  
je sais les bateaux 
les hauts-fonds 
je sais le large  
 
je ne sais plus 
que flotter 
quelque part 
loin de mes ancrages 
 
les miens encore nomades jusqu’au dernier 
et moi qui meurs  
de ne plus suivre les vents 
  
chaque jour  
je m’habille  
de la lourdeur de mon deuil  
j’espère que la vie  
y voit une trêve  
 
cette autre vie  
ne m’attend pas 

tanya monger

Texte publié dans le No 40. Déraciner/Enraciner

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