Entretien mené par Georgette LeBlanc de la revue Ancrages avec Chase Cormier de la revue Feux Follets
Qu’est-ce qu’est un feu follet ?
Le feu follet prend forme d’innombrables. C’est une lueur dans le marais qui nous invite à suivre. C’est un guide spirituel. C’est un visiteur, un hôte, un animateur, un monstre, un farceur, une fée, une bouffée d’air brulant. C’est moi. C’est toi, aussi.
Comment es-tu devenu rédacteur en chef de la revue ?
Quelques-uns de mes poèmes ont déjà été publiés chez The Southwestern Review dans le Département d’Anglais à l’Université de Louisiane à Lafayette, et je voulais fonder une revue pareille dans notre département, celui des Études Francophones. Pendant une conversation avec Rachel Doherty dans le labo de langue au rez-de-chaussée de Griffin Hall sur le campus d’UL Lafayette, j’ai découvert Feux Chalins et Feux Follets. Les écrits de Jean Arceneaux, David Cheramie, Zachary Richard, May Waggoner, et d’autres m’ont inspiré de relever la revue Feux Follets. Naturellement, j’ai lancé un appel à contributions sous le thème « Relever », et après avoir reçu beaucoup de soumissions, beaucoup plus que ce à quoi je m’attendais, j’ai parlé avec Dr. Caroline Huey, la chaire du département à l’époque, et Dr. Gaëtan Brulotte. Les deux m’ont soutenu dans ce projet, et Dr. Huey m’a nommé rédacteur en chef. Là j’ai sélectionné les membres de mon équipe de rédaction : Rachel Doherty, Sarah Smith et Luc Bonhomme. Puisque rien ne soit constant sauf la fluidité, le comité et la revue ont changé depuis 2018. Aujourd’hui je remercie Emma Harlet, Lucas Lezian et Jonathan Olivier de leur aide. Un jour j’espère voir quelqu’un d’autre diriger les feux follets vers l’avenir, mais pour le moment, c’est toujours moi qui guide cette foule nocturne.
T’es un Cormier d’ayoù ? De qui ?
Je suis un Cormier d’ici. Je suis de la Louisiane, et je suis en Louisiane. Je suis partout, aussi. Il fallait quitter cette place afin d’enfin me retrouver ici. Plus tard je me retrouverai d’ailleurs. Je suis né sur la prairie des Opelousas. Puis, je suis né encore au Delta du Nil, et encore une fois au rivage de la Baie Sainte-Marie. Je renais souvent. Je suis un Cormier fluide qui m’ouvre à chaque occasion de renaître perpétuellement. Je trouve mes racines dans la forêt, dans le marais, sur la prairie, dans le désert. Les feux de camp m’alimentent comme le font les poboys, le lever du soleil, l’amour de ma mère, la pluie, le gombo, et l’envie d’apprendre et de me découvrir. Mais asteur et toujours, je suis de la Louisiane, et je suis en Louisiane.
Qui sont les auteur.e.s qui publient dans la revue ? Quelles langues ?
Les auteur.e.s dans Feux Follets viennent de partout dans la francophonie. Comme ça nous publions des ouvrages écrits en plusieurs français et même plusieurs langues. Le français louisianais, le français français, le français canadien et des dialectes variés du français standard prennent place dans nos numéros. Nous avons publié plusieurs poèmes écrits dans le créole louisianais, aussi. Des artistes louisianais.e.s contribuent aussi à Feux Follets avec leur magnifique art visuel. Je suis reconnaissant de tou.te.s nos contributeur.e.s. Il.elle.s (re)présentent les valeurs et les intentions de notre revue.
La revue a-t-elle changé depuis ses débuts ?
Comme moi je métamorphose suite aux moments marquants dans ma vie, Feux Follets change avec le temps, avec les rédacteur.e.s, les contributeur.e.s, les thèmes et le climat social. L’art, c’est l’intention. Contempler l’art, c’est assez. C’est beau. Feux Follets change avec son lectorat. Dès son début en 1991, Feux Follets a été bâti sur la terre changeante. Sa lumière flotte juste au-dessus de la surface d’eaux noires. La revue reflète ses rédacteur.e.s, ses contributeur.e.s, ses lecteur.e.s et son espace. Chaque année, la revue se transforme en sa forme la plus pure, celle du présent.
Auteur.e. louisianais.e qui n’est pas dans ce numéro que nous devrions lire.
Quelques auteur.e.s louisianais.e.s que je recommande sont Kirby Jambon (L’École Gombo), Ashlee Wilson Michot (Ô Malheureuse) et Nathan Rabalais (Le Hantage).
Est-ce qu’un feu follet laisse des traces ?
Un feu follet laisse des traces temporelles. Il laisse des traces dans notre mémoire. Se rappeler du feu follet le lendemain, c’est tenter de saisir un rêve fugace. Lorsque nous voyons briller, lisons l’encrier, entendons crier les feux follets, ils nous rappellent qu’on n’a que le présent. Nous avons tous et toujours rencontré le feu follet, la partie de nous-même qui traine la nuit, dans le noir, perdu, hors du temps. La seule preuve tangible de son existence, c’est nous-autres.
Entretien mené par Georgette LeBlanc avec Chase Cormier
Publié dans le 30e numéro Traces. Rencontre Nord-Sud