Hiver 2009. La revue Éloizes n’est plus. Ancrages, qui est en restructuration, hiberne et ronfle sans soubresaut. Jean-Paul Daoust, lui, est en ville pour l’écriture de Carnets de Moncton ; à son insu, il deviendra la bougie d’allumage qui réveillera ce qui sommeille sous la surface.
Voyant que le poète s’apprête à retourner au Québec sans avoir eu une véritable tribune pour livrer ses textes, un groupe d’étudiant.e.s et de professeur.e.s de l’Université de Moncton organisent en catastrophe, sous la bannière d’Ancrages, une soirée de poésie/musique/arts visuels qu’ils intitulent Libéré(e) sur parole – Le plaidoyer. Contre toute attente, la salle est comble. Et ce soir-là, quelque chose d’électrique et de particulier flotte dans l’air, comme si une respiration longtemps retenue avait enfin l’espace qu’il lui fallait pour être relâchée. Comme un soulagement.
Un « enfin ».
Un « il commençait à être temps ».
Ce soir-là, de jeunes auteurs livrent des textes pour la première fois, et sur la même scène, partageant un même espace, des auteurs établis et reconnus reprennent la parole. L’impact de cette soirée est indéniable : pour Ancrages, c’est une identité distincte de celle d’Éloizes qui s’affirme et se développe. Pour les jeunes auteurs, c’est une carrière qui prend son envol.
Le 18 mars 2009, j'ai 19 ans. On parle d'une soirée de poésie. Je ne sais pas c'est quoi, mais j'ai des poèmes. Une amie s'y inscrit sans emmener de textes. Je ne m'y inscris pas, mais j'emmène mes textes. Elle me cède sa place. Et ce soir-là, comme dans tout cliché qui se respecte, ma vie change. La prise de parole devient possible, l'idée de publier un livre devient concrète, une communauté littéraire devient présente. Il y a bien entendu les gens, les voix entendues, la musique, l'artiste visuel, une pluralité d’âges et de genres littéraires sur scène, mais il y a aussi, avant tout, une permission qui est donnée. J'ai recroisé chacune des personnes que j'ai découvert ce soir-là, que ce soit sur scène dans les années qui ont suivi, dans des activités littéraires, ou encore quelque part entre mes lectures et ma bibliothèque. Ça prend ça, des fois, des gens qui donnent des permissions ou qui s’en donnent à eux-mêmes. Pour moi, c'est un peu ce que la soirée Libéré(e)s sur parole a donné, peut-être même malgré elle : ce droit d'entendre et d'être entendu, de nouveau, sur scène ; la permission d'espérer retrouver ces mots imprimés quelque part, entre la trace du web ou du papier encré d'un livre. C'est ce que je pense devoir à cette soirée, et c'est ce que je sens qu’on lui rend en lançant cette récidive. Gabriel Robichaud
Automne 2019. Pour célébrer le dixième anniversaire de cette soirée mémorable dont vous pouvez lire la trace dans le no 6 de la revue, Ancrages présente, le 6 décembre 2019, Libéré(e)s sur parole – La récidive. L’idée motrice du projet, c’est que des auteurs issus de la première mouture cèdent la parole aux nouvelles voix : d’abord à des auteurs de la relève choisis par le comité organisateur, ensuite aux gagnantes des concours De la plume au micro et finalement, en mode micro ouvert, à tous ceux et celles qui souhaiteraient prendre la parole ce soir-là. Ce sont des traces écrites de cette récidive, de ce retour à la scène d’origine, que vous propose ce numéro.
Joël Boilard