On est devenus étranges
on est devenus étranges
des amoureux affaissés
dos à dos dans un lit de plus en plus vaste
un lit sans tête aux draps d’acier
mais on profère dans nos songes
des soupirs garrottés
notre chair de froidure
enrhumée de sueur
nos os de couple
ankylosés et calcifiés
on se frôle par mégarde
notre peau de momie
mince comme du papyrus
froissement frôlant la déchirure
on se foule au flou
pendant que fondent du bleu au noir
les couleurs du ciel sur un autre amour
que clignent les éloises
et ronflent les coups de tonnerre
tant le silence règne fort dans notre chambre
Je m’apprête à te quitter tout en douceur
je m’apprête à te quitter tout en douceur
à me transplanter dans mon vieux marais
à m’arracher de tes collines magnétisées
à me traduire sans m’altérer
dans cette terre qui est la nôtre
celle des autres, aussi, bien sûr
terre noire et moite où on a poussé
je peine à différencier nos racines
fils colorés d’une bombe que je ne pourrai pas désamorcer
car c’est la même terre, dans le fond
hôtesse des carcasses d’antan
d’un ossuaire familier
ses éléments se ressemblent
il y a que le contraste entre nous deux
qui brouille les cartes
il y a moi et toi
il y a nos ancêtres ensevelis sous l’humus
où tout pourrit
où tout fermente
on nourrit tous les vers
ce qui nous éloigne n’a pas de goût
ou très peu, au moins pour eux
pour moi, c’est le contraire
ta saveur déflagre dans ma bouche
dégouline sur mon menton
ton sol du sud
le mien du nord
ta terre argileuse et orangée
la mienne sombre et limoneuse
peut-être que je te connais encore un peu
Textes publiés dans No 15. Chemins de vers. Poésie