Henri-Dominique Paratte. Goddache de Hell, willkommen à la Sag-Win Park

Voix off :

VEUILLEZ NOTER QUE LE TEXTE QUI SUIT VOUS EST OFFERT PAR LA COMPAGNIE SAG-WAY. SAG-WAY, LE MOYEN SÛR D’ALLER DE MONCTON À LA SAG-WIN PARK DE BUCTOUCHE BY THE SEA.

SAGOUINE No 1 : J’sons bénaise d’aouêre ma trottinette SAG-WAY, sacordjeu !

SAGOUINE No 2 : Buctouche by the Sea

                                 Un champ de patates au bord de la marre

                                 Pis ma trottinette Sag-Way

                                 Et mon i-Pod Huaway

Voix off : INSCRIVEZ-VOUS EN LIGNE POUR VOTRE SAG-WIN TRIP. NOS TROTTINETTES ÉLECTRIQUES SONT FULLY RELIABLE. UN CASQUE ET UN MASQUE SONT OFFERTS GRATUITEMENT. C’EST VRAI, FOR FREE !

CHORALE :   Allons à la Sag-Win Park

                        Tous les Crasseux y vont

                        Yvon et Gapi et Otto

                        Mais pas en auto

                        Parce qu’on est écolos

                        On prend notre Sag-Way

                        Pour aller à la Sag-Win Park

Détail

Il était une fois, dans un futur pas trop lointain, un zombie prénommé Otto.

Parmi tous les zombies, Otto avait une particularité.

Dans sa vie antérieure, c’était un nazi.

Maintenant, pour la plupart des jeunes, ce que c’est qu’un nazi n’est pas forcément évident et ils sont obligés de le googler. Cela dit : « nazi : membre du Parti national-socialiste des travailleurs allemands. »

Il y a des nazis avec des petits n et des Nazis avec un N majuscule.

Otto le zombie, lui, c’était un Nazi avec un grand N, mais il avait vite compris que dans la Vallée de l’Annapolis – la Première Acadie – il ne faisait pas trop bon se vanter d’être un Nazi avec un grand N. Après tout, avec le site de Grand Pré dans le coin, même les plus racistes des Anglos vendaient des souvenirs acadiens faits en Chine à des touristes persuadés d’avoir parlé aux descendants d’Évangéline en parsoune. Il faisait donc le petit nazi, Otto, mais parfois des rages le prenaient et il se mettait à tempêter contre les Russes, contre les Juifs, bref c’était un vrai nazi mais il essayait de ne pas trop en avoir l’air.

Disons que, selon notre définition, pour faire court, un nazi, c’est un bonhomme dérangé grave. Il déteste tout le monde sauf les autres nazis, et encore. Entre nazis, avec un grand ou un petit N, ce n’est pas le grand amour. En fait, le terme même d’amour ne colle pas vraiment aux nazis. Ils sont plutôt du côté de la haine que de l’amour, et c’est pour cela que tant de nazis finissent par devenir des zombies.

Il y a ceux qui disent que les genses qui ont déporté les Acadiens, c’étaient comme qui dirait des précurseurs des nazis. Lawrence et Cornwallis et toute cette clique.

Comme on sait, des zombies, ce sont des sortes de morts-vivants, des âmes déracinées qui ne vont jamais trouver un endroit où se reposer.

Le nazi déteste tout le monde.

Le zombie est désespéré parce qu’il ne connaîtra jamais le repos.

Le zombie nazi, comme Otto, est donc l’être le plus maléfique et vicieux qu’on puisse imaginer. Et voilà qu’il était obligé, Otto, de passer sa vie dans la Première Acadie. Un endroit paisible, avec les souvenirs acadiens faits en Chine pour les touristes amenés en car à partir des bateaux-croisière qui pullulaient dans le port d’Halifax après avoir considérablement pollué une partie de l’Atlantique Nord. Mais le tourisme et le commerce étaient à ce prix. T’as ravalé ton tcheur depuis longtemps, Greta Thunberg.

Sauf qu’est arrivée, après toutes les autres, la COVID-69.

Pour Otto, c’était désastreux.

Vous me direz qu’un mort-vivant devrait se moquer d’une pandémie ou d’une épidémie ou de la maladie tout court, puisque le zombie est déjà mort et qu’on ne peut plus le tuer.

Le problème, c’est que les morts-vivants ont besoin des vivants. Or, avec la COVID-19 et ses suites, il ne venait plus de bateaux-croisière pleins de couples désireux de tout savoir sur Évangéline, plus de cars, plus de touristes – les routes étaient pleines de personnes désespérées attendant un chèque du gouvernement. Et n’ayant plus d’idée quoi faire sans cela.

Depuis la COVID-19, tout le monde portait des masques, personne ne se donnait plus la main. Et sur les gradins de Sag-Win Park, où l’on pouvait regarder sur un écran des spectacles préenregistrés, on avait disposé les sièges pour laisser un espace vide entre chacun. Maintenant qu’on était à la 69e pandémie, les habitudes prises allaient de soi. Avec la Sag-Way et le Pod 45, on pouvait quitter Moncton et quand on arrivait à Sag-Win Park, on était automatiquement guidé vers le sabot d’arrimage.

Pour la nourriture, Otto, qui avait vécu toutes les pandémies, était tranquille : pas besoin d’épicerie. Par contre, il s’ennuyait ferme.

Heureusement, depuis les années 1980, même un ancien Nazi avec un grand N n’intéressait plus vraiment personne, et Otto avait plus de mobilité que d’autres, mais les zombies ne se déplacent pas plus facilement que les autres. Ils n’ont pas la légèreté des fantômes, ils ne jouissent pas du don d’invisibilité, ils ont juste un air bizarre.

Il y avait bien eu, un temps, un groupe qui voulait faire un village de néo-nazis sur l’île du Cap-Breton. Ils avaient essayé. On les avait forcés d’aller ailleurs.

C’est ainsi qu’Otto se mit en route, quittant un beau matin sa tanière de Paradis Terrestre pour ne plus y revenir. Paradis Terrestre n’était plus le monde merveilleux de quoi que ce soit.

Otto avait lu récemment, dans une revue spécialisée en ligne, que l’on recrutait du personnel pour un parc à thème du côté du Nouveau-Brunswick.

Le Sag-Win Park, cela s’appelait. Selon l’article, on cherchait des gardes de sécurité parce que les femmes qui travaillaient là étaient souvent hors de contrôle.

Garde, pour un nazi, avec un grand ou un petit N, c’est la job parfaite.

 

Détail

Otto était peut-être un nazi, mais il n’était pas un imbécile. Il avait lu La Sagouine d’Antonine Maillet dans les années 1980, et il se dit que travailler à l’île-aux-Puces, ce devait être comme de garder un petit camp. C’était parfait pour lui.

Il trouva, vers Amherst, une station de wifi publique et envoya un message à la compagnie. Sag-Way ne se trouvait pas qu’à Moncton ; un peu partout sur les autoroutes magnétiques qui avaient pris le relais de routes plus anciennes, on pouvait voir rouler des pods, des deux roues, des trottinettes géantes – tout cela portait clairement la marque de Sag-Way. Pourtant, apparemment, c’était à Moncton seulement que la compagnie avait développé un concept qui alliait le folklore acadien, la littérature, les nouveaux moyens de déplacement électriques et le tourisme. Les touristes arrivaient à Moncton par navette Sag-Way, et de là par l’autoroute magnétique, ils rejoignaient Buctouche ou Bouctouche. La majorité des touristes étaient bien sûr soit des anglophones pour qui le français était exotique mais qui ne parlaient pas la langue, soit des gens qui utilisaient l’anglais élémentaire comme langue véhiculaire, et ni en français ni en anglais ils n’auraient compris les anciens monologues des Sagouines, lesquelles faisaient surtout de la figuration maintenant. Il avait cependant été possible d’avoir deux parcs conjoints : un pour les Sagouines en acadjen – pour un petit public de plus en plus clairsemé – et un autre pour les activités multiples de la Sag-Win Park, qui comprenaient bien sûr les fameux monologues avec même des traductions automatiques en mandarin et en kazakh, mais aussi toutes sortes d’activités touristiques, avec projection sur grand écran et tout le tralala.

CHORALE :   V’nez nous ouère à la Sag-Win Park

                          Come see us, gang de Crasseux

                          Yvon et Gapi et Otto et même le Rabbin

                          Montez dans vot’ Sag-Way pod

                          On est écolos, sacordjeu !

                          Venez nous ouère en Sag-Way

                          V’nez vous-en à la Sag-Win Park

 

Jim Morrison, le chef du personnel de Sag-Way, n’eut aucune peine à reconnaître Otto.

Il ne traînait pas trop de zombies sur la Main ou sur la High ces derniers temps.

Il y avait probablement des nazis, mais ils se fermaient la goule.

Par contre, Morrison avait un maudit problème avec les Sagouines.

Elles déraisonnaient.

Elles badgeulaient.

Elles huchaient dans les oreilles des touristes.

Il y en a même qui se servaient de leur balai électronique pour jouer les Sorcières de l’Est, au point que les visiteurs ne savaient plus s’ils étaient dans Sag-Win Park or dans le Magicien d’Oz Park. Le Magicien d’Oz Park était une création de Sag-Way pour les enfants, développé sur la côte magnétique.

« Monsieur Strasser » dit Morrison, « bienvenue chez Sag-Way. On a besoin de gens comme vous. Il faut remettre ces Sagouines à leur place. Elles sont en train de faire peur aux touristes. Voyez-vous, tout ce qu’on veut, nous, c’est qu’ils fassent une belle promenade en Sag-Way au bord de la mer, et pis dans Sag-Win Park on n’est point en train de leur faire apprendre l’acadjen, hein, ils viennent pas là pour ça pis pour entendre radoter des vieilles mémères en haillons, hein, elles sont vraiment là pour faire de la figuration, ces femmes-là. Mais là, elles ont pété une coche. Elles se battent entre elles, elles escouent leurs brayons partout, elles font peur aux enfants. Vous êtes le bienvenu si vous pouvez remettre de l’ordre, et puis après on va discuter si on ne pourrait pas avoir plus de zombies dans Sag-Win Park. »

Il était aux anges, Otto.

Faire du ménage parmi des femmes en haillons, c’était une vraie belle job pour un zombie nazi.

Détail

Il partit immédiatement pour Buctouche by the Sea. En pod trois-roues Sag-Way, évidemment.

Il était bien évident pour un nazi que c’était une erreur monumentale que d’avoir voulu cloner à partir d’un sabot cette race de Sagouines. Sag-Win, c’était une noble entreprise ; mais ces Sagouines, ces bonnes femmes coiffées d’un fichu, qui se berçaient en racontant n’importe quoi dans un français qu’on comprenait à peine, c’était quoi ? C’était un autre de ces peuples inférieurs, c’était de la racaille.

Morrison le lui avait bien dit : « Vous avez carte blanche. Je ne veux pas savoir ce que vous allez faire, mais faites-le ! »

On aurait dit un ordre donné par le Führer en personne.

Otto était aux anges. En autant qu’un zombie puisse être aux anges.

 

La scène à Bouctouche, c’était du délire.

Devant un groupe de touristes éberlués, deux femmes s’accrochaient et badgeulaient à tue-tête. Apparemment, les Sagouines avaient décidé de refaire la bagarre entre la Veuve à Calixte et son ennemie jurée. Rien de tout ça n’était dans le texte, pourtant. Otto avait bien lu, il avait même eu beaucoup de mal à lire. Mais là, cette race misérable, ces Acadiens, ils dépassaient les bornes. Au royaume de la technologie, dans le parking immense plein de superbes machines Sag-Way, c’était dégradant de voir ce spectacle-là.

Otto s’avança pour séparer les deux bonnes femmes.

Il y eut comme un froid dans l’assistance. La plupart des gens ne savaient pas qui était Otto, mais un nazi jette toujours un froid dans l’assistance, surtout quand il porte un badge de sécurité de Sag-Way, et surtout si c’est un zombie.

Les deux femmes arrêtèrent de se battre et le regardèrent fixement.

Il sortit un long tube de la machine qu’il portait dans le dos, une sorte de Karcher.

Il était clair qu’il voulait éliminer cette racaille. Tous ses traits de zombie étaient tendus.

Et là, il se passa quelque chose.

Les Sagouines ne fuyaient pas.

Elles se mirent à chanter, et pis une, deux, trois, dix autres Sagouines les rejoignirent.

Elles firent un cercle autour d’Otto. Et les gens autour firent un cercle eux aussi, un grand cercle, et ils battirent des mains devant ce spectacle inattendu.

Un zombie nazi contre des Sagouines acadiennes.

En plein Sag-Win Park.

Otto n’eut pas le temps de mettre son instrument en marche.

Soit quelque chose s’était enrayé, soit la machine était défectueuse – soit Otto était trop prétentieux et ne savait pas la faire marcher.

Les Sagouines se jetèrent sur lui. Ce fut horrible à voir, mais en même temps la foule était fascinée, subjuguée, comme les Romains devant les jeux de cirque.

Sur un des grands panneaux, le concert s’interrompit un instant, et on put lire :

Acadian Sagouines 1 – Nazi zombies 0

Détail

« C’est un vraiment beau spectacle », fit Morrison, qui regardait depuis Moncton grâce à l’interface de communication rapide. « Un peu comme les jeux de cirque. Les gens aiment cela. Le nazi tueur de minorités et de pauvres gens, et puis les femmes féroces qui défendent leur petit monde. Il faut nous trouver plus de zombies nazis et plus de Sagouines, Hussein Ali. Même si, bien sûr, un zombie c’est éternel, hein. On a vraiment eu de la chance de trouver celui-là. »

« Patron, dit Hussein Ali, c’est comme si c’était fait. »

« À propos, ajouta Morrison, le Evangeline and Gabriel Park, dans la Première Acadie, là-bas vers Grand Pré, on en est où dans la planification ? »

 

A NEW ATTRACTION AT SAG-WIN PARK.

NOUVELLE ATTRACTION A LA SAG-WIN PARK.

ZOMBIES NAZIS CONTRE SAGOUINES FÉROCES.

THE NAZI UNDEAD VS THE EVERLASTING CAJUNS

VENEZ NOUS OUÈRE ! COME AND SEE WHO WINS !

Voix off :

VEUILLEZ NOTER QUE LE TEXTE PRÉCÉDENT VOUS A ÉTÉ OFFERT PAR LA COMPAGNIE SAG-WAY. SAG-WAY, LE MOYEN SÛR D’ALLER DE MONCTON À LA SAG-WIN PARK DE BUCTOUCHE BY THE SEA VOIR LE COMBAT DES SAGOUINES ACADIENNES ET DES ZOMBIES NAZIS.

SAGOUINE No 1 : J’sons bénaise d’aouêre ma trottinette SAG-WAY, sacordjeu !

SAGOUINE No 2 : Buctouche by the Sea

                                 Un champ de patates au bord de la marre

                                 Pis ma trottinette Sag-Way

                                 Et mon i-Pod Huaway

                                 Et goddache de hell, j’allons l’étripouiller, le nazi !

Voix off : INSCRIVEZ-VOUS EN LIGNE POUR VOTRE SAG-WIN TRIP. NOS TROTTINETTES ÉLECTRIQUES SONT FULLY RELIABLE. UN CASQUE ET UN MASQUE SONT OFFERTS GRATUITEMENT. C’EST VRAI, FOR FREE !

CHORALE :   Allons à la Sag-Win Park

                        Les nazis vont y voir

                        S’ils sont encore bons aryens

                        Ou s’ils ne sont plus bons à rien

                        Venez nous ouère et v’nez avec nous

                        Apprendre l’art martial acadjen

                        Le Cajun clamp

                        Et toute ça à la Sag-Win Park !

 

 

Henri-Dominique Paratte
Texte publié dans le Numéro 25. Sagouine Park

Aller au contenu principal