Sébastien Tronel. La fin de Leroy Wild

Josiane Robichaud (2025)


J’en ai marre. Subir, once again, une séance de dédicaces avec une horde d’hystériques habillés en noir … Cette foutue convention me retourne les tripes. En roulant bien, j’y suis dans moins d’une heure. Mais je ne vais pas juste ignorer mon conflit avec Leroy. C’est au-dessus de mes forces. Je me gare dès que je le peux, un rapide coup de fil et ma présence est reportée à demain, en fin de matinée. Je lève les yeux, on dirait que le destin me file un coup de pouce. Sans le remarquer, je me suis garé sur le parking d’un motel. Parfait.

Weird. Déjà, mon smartphone qui continue les minutes après 59. Et le regard incrédule des autres clients de ce motel … Chacun devant sa porte, au même instant. Pas de temps à perdre, j’entre. C’est l’heure d’en finir avec Leroy.

Un crochet par les toilettes. De l’eau sur la figure. Ma détermination me fixe depuis le miroir. Ouais, pas de doute, celui qui me fixe va tuer Leroy Wild cette nuit. Now or never. Rien à cirer de la télé, des petits cadres, des rideaux usés. Je touche à rien et je sors l’ordinateur de la sacoche. Tout ce qui a de l’importance, là, tout de suite, c’est de reprendre le contrôle sur mes écrits.

Leroy Wild. Au début, je l’aimais bien, ce salopard. Un vampire à l’histoire tragique, hanté par un passé trop vaste, rempli de tous ceux que la condition de mortels à fait tomber, au fil des ans. Un vampire parce que ça faisait vendre, à l’époque. Parce que ça m’amusait de creuser ce filon. Et le bouquin s’est bien vendu. Sa suite encore mieux. La fiancée de Leroy Wild  ? Best-seller. Les vacances de Leroy Wild  ? Best-seller. Leroy Wild  : origins  ? Putain, je l’ai écrit pour me marrer et mon éditeur m’a supplié de le sortir quand même. J’ai eu des récompenses pour ce torchon et les fans … Damn … Accros, totalement mordus de leur héros, moins, beaucoup moins de l’auteur. Et ça, ça me gonfle. Je ne suis que l’ombre de celui qui est censé y vivre, et y rester, dans l’ombre  ! Fuck  ! Peu importe ce que je fais, ce que j’écris, les interviews, tout est ramené à lui. Alors, c’est décidé, il va mourir cette nuit, dans cette chambre.

Je lui dois bien ça

Depuis des années, c’est lui qui remplit mon frigo. C’est lui qui paie les factures. Je n’ai aucun problème financier et j’ai pu mettre de côté pour la suite. Je suis devenu célèbre, pas comme je l’aurais voulu, mais tout de même. On me reconnait dans la rue. Thanks, bro. Je peux pas en finir avec lui sans regarder la vérité en face. Je mords la main qui me nourrit. Ouais, enfin là, je vais pas la mordre, je vais la déchiqueter et en faire des confettis. Et cette pensée me réjouit. Allez, fini de penser à ce qu’il m’a apporté, les doigts frétillent d’impatience, le clavier m’attend.

Je ne vais pas écrire un roman entier en une nuit. Reprendre le dernier, pas encore sorti, le modifier, ça fera l’affaire. Leroy Wild dans l’espace. Je ferme les yeux, frotte mes paupières avec mon index et mon pouce. Comment – je veux dire, dans quelle réalité – un éditeur peut trouver ça bien  ? Ce titre  ! J’ai honte, je réalise que je suis devenu une machine à fan service. Une pompe à fric qui recycle tous les clichés possibles en y ajoutant un vampire à la con. On se ressaisit. Cette nuit, le point final va tomber. Un point dans sa gueule de séducteur nocturne, sa faim insatiable prend fin, celui qui a toujours vécu la nuit s’apprête à vivre sa dernière. Et tandis que je relis mon dernier chapitre avant de l’effacer, petite question  : Comment le faire mourir, ce gugusse  ?

Reprenons le cours de son histoire. Il vient de sauver la fille du professeur Stich. Le méchant Albert Von Badd a péri dans l’explosion de son vaisseau spatial. Dans une navette de secours, Leroy et la jeune demoiselle dérivent vers l’infini. Du moins le pensent-ils. Car un engin vient à leur secours. L’ennemi juré de Leroy, Henry Leblanc. Face à la menace, la Némésis de mon héros oublie pour cette fois leur conflit. Il les sauve de leur funeste sort et trouve un accord avec Leroy. À leur retour sur Terre, chacun reprendra sa vie de son côté, malheur à celui qui croisera l’autre en premier. Voilà. Le chapitre final, l’épilogue, devait raconter la suite, leur retour, et se conclure par les retrouvailles, plusieurs jours après, des deux rivaux. 

Je me ravise, reprends ma sauvegarde et plutôt qu’effacer le chapitre, je rajoute quelques lignes. Je ne vais pas finir sur un cliffhanger, mais sur la mort du vampire. Alors, combat, gna gna gna, one liner, du blabla, humour, combat, on croit que c’est fini, ah ben non, quoique … non, ça continue. Et d’un coup … Leroy esquive une balle qui touche un passant. Il est surpris, se retourne en entendant ses cris. Henry en profite et tire dans son cœur l’une de ses balles spéciales contenant un pieu miniaturisé, en bois., à l’intérieur de la douille. Leroy agonise mais sourit et remercie Henry de lui rendre sa liberté, après toutes ces années à défier la mort. Fin. C’est pas extraordinaire, mais l’essentiel est fait. Je me lève, satisfait. Plusieurs heures pour un résultat mitigé en termes de qualité, pourtant, je suis satisfait. C’est à moi que Henry vient de rendre la liberté.

Un peu d’air. La nuit est vite arrivée … Possible que les nuages aient tamisé la fin de journée, laissant le soleil filer sans crier gare. La fenêtre grande ouverte et pourtant, pas de bruit. D’accord, c’est pas Daytona ici, mais ce silence me fait lever le sourcil. Un flash, au loin, dans le ciel. Un grondement. Ah  ! Ce bruit, si faible soit-il, compte tenu de la distance, suffit à me rassurer. Et pour continuer sur une note positive, je vais de ce pas relire ce que …

Prise de conscience

Quelqu’un est entré. On m’a volé l’ordinateur  ! Je fonce vers la porte, fermée à clé. De l’intérieur. Suis-je bête. Mon premier réflexe en arrivant, clé, serrure, personne pour me déranger pendant l’écriture. Mais si je suis seul dans cette pièce, où est passé mon appareil  ? En rigolant, je me dirige vers la sacoche, imaginant l’ordinateur qui part de lui-même dans son rangement. Sauf qu’il y est, le bougre. Je recule d’un pas, les neurones en surchauffe. Je … J’ai rêvé ces dernières minutes  ? C’était sacrément réel en tout cas  ! Ok, on souffle et on accepte ça. Je pose l’ordinateur sur le bureau, balaie l’impression d’avoir déjà fait ça. La bonne nouvelle, c’est que je me souviens de chaque mot déjà écrit … dans mon souvenir. On fait avec, voilà voilà. Mon sourire tremble un peu. J’ai tué Leroy. Encore. Mais j’ai pas flanché. Je referme l’ordinateur après avoir sauvegardé. Trois fois. Sous différents noms de fichiers.

Debout, direction la fenêtre pour respirer un peu et … non, pas perdre de vue ce foutu appareil. Une crainte complètement déraisonnable, je me doute bien, merci. Je sors mon téléphone et prends une photo du bureau avec l’objet voyageur bien dessus, bien à sa place. La clarté s’est fait la malle. Les étoiles, la lune, rien de rien. Les nuages sont là et ont pris possession du ciel. Je me demande pourquoi ma séance d’écriture n’était que dans ma tête, alors que de toute évidence, je n’ai pas imaginé la progression des nuages jusqu’au motel.

Un demi-tour et mon regard soupire. Dents serrées et patience à cran. Les blagues les plus courtes sont les meilleures. D’ailleurs, ça me fait pas rire. Bureau vide de tout matériel. Je regarde la sacoche et je n’ai pas envie de vérifier. Le smartphone  ! Je cherche. La photo n’est que poussière dans ma mémoire, j’ai beau balayer l’écran, elle n’existe que le sol mouvant de ce que je crois être un souvenir. L’incertitude me fait tanguer, besoin d’un coup de flotte dans la tronche. Vite, salle de bain, lavabo. En me relevant, un sursaut m’éloigne du reflet. Ce foutu miroir m’adresse un regard de tueur. Mais je n’ai pas cette humeur, ce n’est pas ma tête, ça  ! Je ne comprends pas. Parce que les gestes correspondent. Tout correspond. Juste mon attitude. Une détermination si forte que …

J’ai peur de comprendre. C’est moi … quand je suis arrivé là  ? Je me rue sur la sacoche. L’ordinateur est dedans. Ok. Je le sors, je vérifie à l’intérieur. Pas de sauvegarde. J’ai écrit, je le sais, là, je veux pas juste fermer les yeux et croire à je sais pas quoi  ! Je suis censé faire quoi, hein  ? Abandonner, dodo, et pour le côté quatrième dimension, hein  ? Whatever  ? On fait avec  ? J’essaie de retrouver un peu de raison au milieu de ce foutoir. Les nuages ont avancé. Donc le temps passe, d’une manière ou d’une autre. C’est peut-être juste cette chambre qui est figée  ? La batterie du téléphone est stable. Pas perdu 1 %. L’heure tourne, déjà 1 h 72. Attends, quoi  ? Non, c’est pas juste la chambre. C’est l’endroit tout entier qui se fout grave de ma gueule. Je vais me barrer de là, tu vas voir que ça va pas trainer  ! J’embarque mes affaires, let’s go.

Perdre la raison en la cherchant

Trois pas dehors et si j’ai ignoré les rideaux de ma chambre, la pluie m’impose le sien. Un déluge qui ne prend qu’une poignée de secondes à tremper mes fringues. Mais c’est pas ça qui va me freiner  ! J’avoue ne pas bien voir où je me dirige, toute cette eau me fait tourner la tête. Quand je la relève, je suis dans la salle de bain. Je vois ce regard empli de détermination. Ma frayeur me fait reculer alors que le reflet mélange qui je suis et qui j’étais à mon arrivée ici. Faut que je reprenne mes esprits. Je vais virer barjot à ce rythme.

Si je ne peux pas m’enfuir, pourquoi ne pas dormir  ? Il va se passer quoi  ? Puisque les heures défilent, bizarrement, certes, mais défilent malgré la folie ambiante. Allez, ça me coûte quoi de tester, après tout  ? Je ferme les yeux après avoir constaté qu’il est 1 h 95. J’ai envie de retrouver du réel … et ma seule façon d’y parvenir, c’est de dormir.

Ah  ? Pas de lumière du jour  ? Pourtant, j’ai clairement rattrapé tout le sommeil que j’avais en retard ces derniers jours  ! Hélas, je suis encore conscient de ma prison temporelle. J’espère juste que … Non  ! Ya kiddin me  ! 1 h 95  ? ! Mais c’est quoi ce délire  ? ! Non, je ne vais pas crier et m’arracher les cheveux. Déjà, parce qu’il ne m’en reste pas assez pour ça. Et bon, je suis vexé, mais je préfère vite calmer mes nerfs. Je dois trouver comment réagir. Si je repasse les événements, ça donne quoi  ? Les minutes ont changé, les gens sont tous arrivés en même temps. La chambre me dicte des règles étranges. Non, je dois pousser le raisonnement plus loin. Quitte à me tromper.

Si les minutes vont jusqu’à 99, ça joue sur le temps. Il est rallongé. Tout le monde, simultanément devant sa porte … Et si on était tous là pour une raison  ? Les coïncidences, j’aime pas ça. On dirait qu’on nous a tous amenés ici, d’une manière ou d’une autre. Donc, on a foutu dans cet endroit des gens pour qu’ils aient du temps en plus. D’accord. Et ensuite, la chambre. Elle est bloquée. En quoi c’est une bonne chose, ça  ?

Attends. Elle est pas bloquée à la seconde où je suis entré. Mais au lavabo. La détermination  ? Ce serait ça  ? La chambre me pousse à revenir sans cesse à cette foutue détermination à tuer Leroy  ? Mais pourquoi  ?

Got it. Pigé. Je fais quelques pas dans la pièce. Je regarde les différents cadres. Les chiens qui jouent au billard, un enfant qui regarde une montagne, une forêt, deux autres qui représentent des promeneurs, je crois. Je m’en fous. Ça cogite sévère dans ma caboche. Et si ce motel essayait de m’aider, en fait  ? C’est pas la première fois que j’essaye de me débarrasser de Leroy. Serait-ce la preuve que j’en ai besoin  ? Un besoin vital  ? Je deviens peut-être taré. Mais quelque part dans mes réflexions, je trouve un sens. Une raison. Je vais m’accrocher à ça.

Tueur en série

Je reviens à mon histoire, pour offrir une vraie sortie à Leroy. Une de celles qu’on ne refuse pas. Mon éditeur doit en chialer, se dire que c’est triste, regrettable, mais trop bien écrit pour être jeté à la corbeille  ! Je sors l’ordinateur de la sacoche, m’installe sur le bureau. Cette fois, le duel entre Leroy et Henry est magnifique. Finie la série B. Des épées, puis des dagues quand les combattants se désarment mutuellement. Et une fin à mains nues, où dans un éclat de sauvagerie, ils s’entretuent. Allez, je mets mon essai à l’épreuve. Petit tour à la fenêtre, on admire l’orage qui s’approche. Hop, demi-tour  !

Insuffisant, c’est ça  ? L’ordi est reparti se planquer. Retour au bureau. Bizarre. La chambre a pas jugé bizarre de redémarrer sa boucle dans la salle de bain. Ça me conforte dans mon idée. Si j’ai la détermination, plus besoin de me la remontrer. J’avance. Mais pour la fin, on y est pas encore. J’essaie. De la violence. Beaucoup de violence. Mon vampire s’en prend plein la figure. Crucifié  ? Non, pas assez. Réduit en poussière  ? Allons, il ne souffre pas assez. Roué de coups, des membres en moins, jusqu’à ce qu’il implore son ennemi  ? Un peu extrême peut-être … Ou pas assez. Ma chambre refuse chaque tentative. On recommence, encore, encore, il meurt, de toutes les façons que j’entrevois, de la main de Henry. Et au diable Henry. Je continue de chercher quelle fin il mérite, ce misérable. Peut-être que ce n’est pas à son meilleur ennemi qu’il faut se fier. Trahi par la jeune fille qu’il sauve  ? Non, ça marche pas. Un accident dans l’espace, la navette de secours qui explose  ? Je reviens à Albert Von Badd. Lui aussi, il a le droit de passer ses nerfs sur le vampire. Après tout, au fil de mes essais, tout le monde le dégomme, l’autre, donc autant faire journée portes ouvertes  ! Je crois que passé un moment, chaque personnage du roman l’a tué au moins trois fois.

L’orage est sur le motel. Les éclairs frappent devant, derrière, le bruit arrive avant la lumière, la pluie tombe si fort qu’elle doit se faire sacrément mal en frappant le sol. Je ne me contrôle plus. Le vacarme couvre le bruit de mes pensées qui se bousculent, toutes plus horribles les unes que les autres. Peut-être aussi que le vacarme me cache. Personne ne me voit, m’entend, ça me désinhibe. Je peux envoyer à la face de Leroy toute la frustration accumulée. Je me surprends à hurler Crève, charogne  ! Je ne maitrise plus. Je suis heureux de voir l’ordinateur disparaitre, à chaque fois dans la sacoche. Parce que ça signifie que je vais pouvoir m’amuser encore un peu.

Et alors que le ciel cherche s’il a encore de la pluie en réserve après tout ce qu’il a envoyé, je n’entends pas le tonnerre non plus. Ce que j’entends, c’est la clé dans la serrure. Une clé qui tourne dans la serrure de MA porte. La pluie revient, plus douce. La silhouette qui reste dans l’encadrement ne dévoile aucun de ses traits pour l’instant. Absorbée par la nuit, la lampe de la chambre est trop faible pour l’atteindre. Alors, c’est un éclair qui me laissera une seconde de lumière. Pas besoin de plus. Quand on tue quelqu’un plus de cent fois, on finit par connaitre ses traits par cœur.

Le visiteur de 4h44

Il est là. Devant moi. Et c’est un feu d’artifice de sentiments de toutes sortes qui explose. La peur, l’incompréhension, la colère, la honte. Il me voit hésiter, assis, tourné vers la porte d’entrée. Un reste de bave aux lèvres et les pupilles tressautant d’excitation.

— On dirait que je ne suis pas le seul prédateur, ici.

Il avance, claque la porte derrière lui. Ce qui me sort de la transe meurtrière qui m’étreignait un peu trop fort. Et qui me pousse à rejoindre cette réalité que j’embrasse sans retenue désormais. Ce motel a figé le temps et l’humain raisonnable et moral que j’étais s’est mis en retrait.

— Tu viens assister à ta mort, Leroy  ?

— J’existe pas, abruti. Je suis un personnage qui vit dans le cœur de chacun de tes fans. Essaye donc de tuer, ça  ! Je suis éternel, que tu le veuilles ou non  !

Mes yeux s’ouvrent, enfin. Oui  ! C’est ça, le truc  ! Je dois pas le tuer  ! Pas lui, physiquement  ! C’est son image qui doit morfler  ! Les fans doivent le détester  !

— Tiens, je distingue une étincelle dans ton regard de bovin. Comme une bonne grosse vache qui voit son premier train.

Je comprends. Je sais quoi faire. Et … C’est grâce à lui.

— Ok Leroy. Tu as raison. Tu es éternel. Mais je peux faire de toi un immortel détestable. Et en fait, pourquoi te tuer … Tant que les fans ne m’ont pas supplié de le faire  ?

Il me toise et finit par éclater de rire. Sa main plonge dans la poche intérieure de sa veste et en sort une flasque. Une veste que j’ai décrite dans le deuxième tome de ses aventures. Une flasque qu’il a sortie pour la première fois lors de sa troisième rencontre avec Henry Leblanc. Une nostalgie inattendue m’embarque. Je relâche toute la pression et le rejoins dans un fou rire qui dure quelques minutes. Il me passe sa boisson et je goûte à ce whisky qu’il avait gardé depuis plus de cent ans. C’est dingue. Mais ici, qu’est-ce qui ne l’est pas  ?

On échange sur la condition de personnage, d’auteur. Il me demande pourquoi je lui ai donné certains défauts, pourquoi pas plus de couleurs. Comme à un ami de longue date, je le charrie. Pourquoi des couleurs, tu es censé broyer du noir, non  ? Une créature de la nuit … Pas un surfeur  ! Je m’intéresse à lui, curieux de connaitre ses sentiments. À son tour de me taquiner. C’est moi qui l’ai écrit, franchement, quelle question pourrait amener une réponse que j’ignore  ? Quand il prend congé, je le remercie.

— Tu viens de te parler, à toi. Alors remercie-toi tout seul  ! Mais pas trop longtemps, t’as du pain sur la planche. Tu dois rendre ce magnifique vampire détestable, un vrai tour de force, tu crois pas  ?

Il en rigole et s’en va, me laissant de bonne humeur. Heureux de savoir ce que je dois faire. Dans cet endroit perdu dans le temps, j’ai retrouvé ce qui me bloquait. Et je suis prêt. Mes doigts suivent le rythme de mes pensées sur le clavier. C’est trop facile. Je ne me contente pas de compléter une histoire, j’en écris une nouvelle. La déchéance de Leroy. Il va vivre. Oh oui, pour un paquet de temps. Jusqu’à ce qu’on me supplie d’en finir avec lui.

Plusieurs fois, je fais une pause. Je m’éloigne, regarde l’orage, parti au loin. Et la sacoche est vide. L’ordinateur attend mon retour, à chaque fois. La chambre et moi nous sommes compris. Le reste n’est qu’une longue session d’écriture. Et un retour à quelque chose de palpitant  : l’envie de défendre mon livre. D’en parler avec les fans.

Je sors de là à 8h88. Comme tous les autres. Le contraire m’aurait étonné, déçu, même. Là, c’est juste logique, ce motel a travaillé avec chacun de nous, selon les besoins j’imagine. J’en sais rien et je m’en tape. Who cares  ? Je repars en sifflotant jusqu’à ma voiture. En quittant le stationnement, je me retourne et observe l’affiche du motel. Comme les autres, d’ailleurs. Le 666 laisse place à autre chose, il me faut plisser les yeux pour que le nom apparaisse, en anglais. Rebirth. Je me marre en pariant que c’est le dernier tour qu’il nous joue à tous, que chacun voit un nom différent.

SÉBASTIEN TRONEL.

Texte publié dans le No 44. Motel 666