SERVEUSE À LA CLIENTÈLE
Donc si je comprends bien, vous êtes insatisfait par nos services.
RENÉ LORANGER
Insatisfait c’est pas l’bon mot. Traumatisé serait plus juste.
SERVEUSE À LA CLIENTÈLE
Vous m’en voyez vraiment désolée. Sachez qu’Inifini est pleinement à l’écoute
de sa clientèle. Pour s’assurer que vos problèmes ne se reproduisent pas, pouvez-vous me décrire le plus en détail possible les évènements ?
RENÉ LORANGER
La journée a commencé normalement avec mon rêve qui m’indique qu’i’est presque l’heure du réveil. Donc j’faisais des longueurs dans une piscine de chocolat et un coq à la peau d’ananas a crié cocorico. J’me suis réveillé, j’ai pris ma douche à rayons X zéro bactérie Arm & Hammer, j’ai mangé une pilule déjeuner extra vitamines B12 Kellogg’s et ma peau Day Glo m’a vêtu pour le travail. J’m’y suis rendu à dos d’chien rouge géant.
SERVEUSE À LA CLIENTÈLE
Jusqu’ici tout est normal.
RENÉ LORANGER
Tout à fait, c’est la routine. Mais arrivé au bureau, ma secrétaire m’a servi un café noir qui goutait… le café noir, pis ça, malgré mon application salivaire qui coupe l’amertume de tous les liquides. Ça m’a pas empêché d’aller à ma réunion, j’suis quelqu’un d’résilient.
SERVEUSE À LA CLIENTÈLE
Visiblement.
RENÉ LORANGER
À la réunion, j’avais légèrement chaud, pourtant y faisait que 34 degrés dans la pièce, ma ventilation interne est supposée fournir jusqu’à 55 degrés. Si vous saviez le dégout qu’j’ai éprouvé à sentir une petite goute de sueur se former sous mon bras, ça faisait des années que j’avais pas expulsé ce genre d’honteuse sécrétion. Ma peau Day Glo s’est heureusement adaptée en changeant la couleur de ma chemise en noire pour que la sudation soit imperceptible. Et c’est là, qu’habillé en robe à paillette mauve ultra courte, on voyait même le bas d’ses fesses portant un string, que mon avocat junior est rentré dans la pièce. Les yeux gros comme des deux piasses, j’lui ai dit « est-ce que ça va ? »
Y m’a répondu… en fourche langue. J’me suis l’vé d’ma chaise en sursaut.
Le plancher est devenu une grosse langue. J’avais tellement chaud.
Tout l’monde s’est mis à m’lancer des œufs de Pâques par leur bouche.
Et quand ces œufs éclataient sur moi, des mini Guy Nantel en sortaient et me racontaient des blagues infiniment ennuyantes. Des blagues qui dénotent une paresse accablante de leur auteur et un manque flagrant de travail.
À c’moment-là, ma peau était tellement chaude que mes vêtements ont pris en feu, j’me suis roulé sur la grosse langue, mais sa salive n’éteignait pas l’feu.
Je n’faisais que m’piquer sur les écailles d’œufs des Guy Nantel. Mon avocat junior a versé le contenu d’sa gourde sur moi, mais c’tait pas d’l’eau, c’tait une pluie d’lézards habillés en coat de cuir des Hells Angels.
SERVEUSE À LA CLIENTÈLE
Et c’est là que nous vous avons plongé dans le coma à distance. C’est bien ça ?
RENÉ LORANGER
Exactement, Dieu merci ! Mais quand j’me suis réveillé chez INIFINI,
mon application olfactive m’a avisé que ma femme me trompait et qu’l’analyse était en cours pour savoir avec qui elle le faisait. Dès qu’elle est rentrée dans la pièce, un message d’alerte m’est apparu :
(première bulle) « Votre femme vous trompe avec des lézards,
mais ne vous en faites pas. Cela va vous attirer la sympathie
du grand chef lézard quand il contrôlera le monde. »
(deuxième bulle) « Pouvoir aux reptiles ! »
Dominique Sacy
publié dans le numéro 39. Corps-texte : mécaniques
