Chantal Ringuet. Variations sur le jardin

                                 1

Ce n’est pas le jardin qui nous accueille.
Nous accueillons le jardin les yeux fermés,
un ciel d’airain dans chaque paume.

L’odeur du matin monte, sa fraîcheur
se dépose sur le bord de nos vertèbres.
Nos corps froissés se détachent de toute surface.

Coule sur nous la lumière, coulent et frappent
les rayons aveuglants contre le muret de pierres sèches
où se répand la vigne et ce qu’il reste de nos rêves :

une promesse de broderies végétales
qui protège le jour dans sa course
dès les premiers mouvements de l’aube.

                                 2

Nous laissons derrière nous une pluie de sommeils.
Arrachons les taches de la nuit fauve
sur le velours de nos paupières.

À notre index danse une goutte de rosée.
Les plantes qui nous enlacent imitent le taffetas,
les banderoles et la chair des animaux.

Quelle est cette fleur d’un rose tendre,
striée de côtes pourpres, dont les fibrilles jaunes
rompent le silence des heures ?

Avance l’azuré ukrainien, une aile coincée
sur le manteau de givre qui orne les fenêtres.
Un fossé s’ouvre à l’intérieur des espèces.

                                 3

Soudain un arbre échappe aux obus,
bondit et roule vers nos bouches pleines de pétales,
s’élance et croit vers nos mains nourries de terre grasse.

Ses racines s’entrelacent à nos ventres
broyés par la fatigue des orages et
assoiffés de feuillages ondoyants.

En nous ces ruines d’un jardin fuyant
prolongent nos organes
de petites grappes de fruits rouges.

Un tapis de mousse dans la gorge
nous invite à la prière.
Nos lèvres muettes disent tant de précipices.

                                 4

Nous marchons dans la serre, à l’abri du monde
et de sa vaste rumeur. À profusion, poussent
les fleurs colorées et les verdures luxuriantes.

Ici, nulle plante potagère ne s’aventure
au croisement des rais de lumière et des ombres
qui se détachent du verre et de l’acier.

Tout remonte à travers murailles et crevasses :
Les semences croissent, les os se fortifient.
Un oiseau bat des ailes dans la chaleur de nos entrailles.

Dans chaque poumon, un paysage s’enracine.
Sans carte ni carnet pour appréhender le vertige,
nous apprenons des herbes et des arbustes.

                                 5

Ce matin, le vent déride la peau des bouleaux.
Le jardin se réincarne dans la bleuité du printemps.
Une vie nouvelle s’anime.

Le parfum de la pluie sur les troncs efface
les traces de pas qui martèlent le sol.
Sur nos visages se déposent des filets d’ombre.

Coulent sur nous les ruines d’eau, coulent et vibrent
les flots, jusqu’au murmure de l’étang.
Saute l’écume sur les rochers, saute et renverse nos têtes :

Une bande de lumière mauve se jette sur nous.
Dans nos bras s’étire l’érable nu, l’humble roseau –
Nous redonnons la parole aux arbres.


Chantal Ringuet

publié dans le numéro 34. Jardins divers

Image : Marika Drolet Ferguson VM01 à 10, numérisation d’une pellicule 35mm couleur, 2014

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