Fernande Chouinard. Poème pour absents

il n’y a presque personne
pour écouter le poète
un simple rideau éclairé en jaune
quelques bougies tremblantes
et tout ce silence
tout ce silence
jusque dans les bulles des verres de bière
entre les espaces des chaises vides

une gêne d’être là
une gêne de l’absence des autres

il n’a pas le choix
il doit faire ses premiers pas
le vide lui donne des crampes aux lèvres
lui pique les yeux
comme le vent vif sous zéro
ses mots se roulent en boules de papier
son regard se plie
ses vers font le chemin à genou

il récite à grande vitesse
avec la sueur dans les yeux

Rotchild Choisy, Comment créer un compte  : un choix comme ça, sérigraphie, 2021.

il est au bord du gouffre
retient la folie
qui lui brûle le front
ressent la peur de l’échec
mais se l’interdit
sa vie en dépend


parler est un acte qui communique l’homme à son semblable
l’aliénation, c’est de ne pas pouvoir se dire à l’autre

il impose un temps d’arrêt
troublant
obstiné
calculé

sa voix éclate en cris
forme et déforme l’ordre des choses
brûle les sabliers
renvoie chez elle la fin du monde
ses mots à la pointe effilée
me coulent le long du dos
contiennent tout ce que je ne sais pas dire
les tabous
les interdits
les pulsions
il parle du corps malade du monde

c’est une belle revanche
quand la chiennerie devient poésie
quand un gavroche devient poète

Fernande Chouinard

publié dans le numéro 33. Cris de terrestres

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