Existe-t-il routine plus déprimante que celle des saisons qui s’enchaînent sans surprise ? Jours chauds et longs pendant l’été, feuilles mortes et soirées humides en automne, journées froides et courtes pendant l’hiver, bourgeons et sérénades au printemps. Puis le cycle recommence : été, automne, hiver…
Dans ces conditions, comment ne pas lentement s’enfoncer dans l’apathie ? La monotonie, ce n’est rien de plus que se lever chaque matin avec la certitude que la journée qui s’annonce sera d’un ennui au moins égal à celle qui l’a précédée. C’est là le début de la fin, la glissade fatale sur l’inexorable toboggan ciré qui mène au tombeau.
Alors que le chaos, c’est inviter l’imprévu, le prendre par la main, se brûler un peu et lui dire « je t’aime » avec les yeux.
De la neige en été ? La belle couleur anthracite des microparticules capturées fera de superbes igloos, très modernes.
Une tornade de feu en plein mois de décembre ? Désuets, les marshmallows toastés paresseusement dans la cheminée. Voici venu le temps des biscuits-sandwichs à la guimauve dignes des exploits de Johnny Utah dans Extrême Limite.
Et ce n’est pas tout ! La sécheresse d’automne, radicale contre les pieds crottés de boue après une balade en forêt. La crue du mois d’octobre, pour inaugurer le canoë acheté au rabais en fin de saison. Les grêlons gros comme des melons de la Saint-Sylvestre, apothéose de la soirée du nouvel an qui emmerde tout le monde, mais à laquelle chacun revient continuellement dans l’espoir de se convaincre qu’on aime encore faire la fête alors que clairement, on aurait tous mieux fait de rester chez soi.
Toutefois, cela serait une erreur de ne considérer le chaos climatique que sous ses seuls avantages météorologiques. En effet, il habite aussi les sphères éthérées de la spiritualité et de la pensée.
Les âmes poètes et les pleines consciences sont transportées par la beauté du zénith embrasé de l’orange que seuls permettent les feux de forêts rendus hors de contrôle. Une telle couleur n’est-elle pas le sujet idéal d’un poème de cent pieds de long, d’une méditation prolongée ou d’une intense réflexion sur la mortalité ? Plus tard, une fois l’incendie éteint, de nouvelles teintes, plus douces, tapissent la voûte céleste de sépia ou de nuances de gris comme sur les photos de Raymond Depardon. C’est tout de même plus émouvant que ce sempiternel ciel bleu juste bon à inspirer les barbouilles délavées des aquarellistes fraîchement émergés de la puberté pour se lancer dans la décoration de chambres de motel.
Face à tous ces atouts, difficile de résister aux charmes du chaos climatique, n’est-ce pas ? Pourtant, il est un argument qui les détrône tous, un qui s’exprime dans le lien qui unit les parents à leurs enfants. C’est l’avantage suprême qui met fin aux nuits sans sommeil à se poser des questions sur l’avenir de sa progéniture, à se demander s’il y a un avenir dans telle carrière, si les études ne seront pas trop chères ou si c’est bien raisonnable d’attendre d’un enfant qu’il sache déjà ce qu’il voudrait faire plus tard. Plus besoin d’angoisser face aux « plus tard je serai pompier » ou « vétérinaire » ou « influenceur Instagram ».
À ces déclarations remplies de rêve et d’espoir, le chaos climatique ne laisse place à aucune tergiversation.
Ne reste plus qu’une seule et unique réponse possible.
« Apprends à nager, l’eau monte. »
Texte publié dans le No. 29 Éloge (paradoxal)