Nue
Ou tout comme
Je dois courir devant
Trouver renfort
avant que la gelure ne m’engourdisse
Apparemment, il ne fait pas si froid
Apparemment, il est question d’un réchauffement climatique
Apparemment
Mais la morsure me saisit l’échine
Je cours devant, espérant la perdre
Accélérer le pouls
Rien n’y fait
Alors je me précipite dans la foule
Je fouille au hasard
L’urgence est trop grande pour choisir soigneusement
Je tâte, j’interpelle
Qui voudra me réchauffer
Je prends le premier volontaire
Je l’entraine
Tu n’as pas plus de chance qu’un autre
Je ne m’explique pas
Pourquoi le froid m’a choisie moi plutôt qu’une autre ?
Pourquoi je t’ai choisi parmi les autres ?
Je sais bien que pour toi ça n’a pas d’importance
Alors pourquoi s’y attarder ?
Peu importe le nombre, à l’ombre des regards
Je tremble
Si tu me secoues un peu plus fort, peut-être que ça se perdra
Peut-être
Je suis transie pourtant
Malgré ta sueur sur la mienne
Et ton souffle sur mon cou
Et tes mains qui me saisissent
Je voudrais pouvoir m’enflammer
Si je n’avais pas toujours si froid
Je pourrais m’attarder
Tu voudrais peut-être rester jusqu’au matin
Mais je suis une amoureuse polaire
Je claque des dents dans mon sommeil
Ça effraie, c’est sûr
Il paraît que la meilleure façon de réchauffer un corps, c’est un autre corps
Il aurait peut-être fallu que je m’aventure un peu plus loin
Que j’aille voir qui est là-bas
question de voir s’il y a une petite chance de rester ensemble jusqu’au matin
Mais la morsure m’a prise par surprise
Il faut lui donner quelque chose, n’importe quoi
Tenter par tous les moyens de lui briser les dents.
Les lèvres bleues, le bras engourdi, je n’ai qu’à tendre la main
jusqu’à celui-ci. Ou celui-là,
un tisonnier
Agacer la braise
Tenter de ranimer le feu
Souffle encore un peu plus fort
Souffle avec moi
Ça me glace
La torpeur m’anéantit
dans ma propre cicatrice
Je bégaie
Je veux freiner les secousses
Il faudrait me saisir, me ressaisir plus fort, plus fort, mieux
Tes mains sont si grandes, si chaudes
Je voudrais me déposer dedans
Mais je n’arrive pas à les retenir
Ni leur grandeur, ni leur chaleur
J’ai froid, j’ai toujours si froid
Ne t’éloigne pas autant
Je veux sentir contre ma poitrine
Ton cœur qui s’emballe
Approche, approche
J’ai les mains froides
Et les pieds
Rien n’y fait j’essaie pourtant
Si tu savais comme j’essaie
Saisis-moi plus fort
Tiens-moi contre tes hanches
Il faudrait me secouer
Peut-être que des glaçons tomberont de mes doigts, de mes jambes
Ils iront se fracasser sur le trottoir
Et je pourrai partir enfin, libre de saisir et d’avancer
Laissant fondre derrière la froidure de mes jeunes années
On pourrait se mettre à plusieurs, faire battre nos cœurs
Emma Haché
Texte publié dans le No.23 iskwêwomxn