Anne-Marie Desmeules. Je suis garçon

Photo : Jérôme Luc Paulin

Je suis garçon. Je m’appelle Samuel, parce que ma mère aime ce nom. C’est mon prénom secret. Celui que j’aurais dû porter. Je ne veux pas dormir. J’ai dix ans et je veux la conscience, je veux qu’on m’éclaire, qu’on me sépare de ce clan de mouettes faibles, incapables de lancer au ballon chasseur. Qu’enfin je rejoigne ceux qui courent, les insolents, les drôles, les grimpeurs, les salis, les gourmands, les bruyants, que je dévie de cette autoroute pavée de fleurs et de brillants sur laquelle on m’a jetée, avec ses cris stridents, ses peurs exagérées, ses groupes de pense-bonnes, ses minauderies, ses petites mains toujours prêtes à s’agripper, ses robes impeccables, ses tresses françaises, ses concours de lipsynch, son ballet jazz, ses ongles turquoise. Qu’on me garde de la moitié faible du monde. Qu’on me lance enfin la balle et que je l’attrape, avec un cri venu du loin, dans mon jogging noir, un cri rauque, victorieux. Que s’ouvre enfin la porte sur cette imposture de naissance.

 

Anne-Marie Desmeules
Texte publié dans le No.23 iskwêwomxn

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