Sébastien Bérubé. La même année

English / Mi’kmaq

Julie Whitenect. hustle-in. 2017, mixed media silkscreen on paper, mounted on aspen, 18″x12″

Avant qu’ils arrivent
Avant que leurs mains brulent la terre
Les gens et l’espoir
On pouvait encore croire
Mais c’était avant

Avant d’avoir peur de nos frères
Avant que la confiance file se cacher
Derrière un taux préférentiel
Que seule la crainte sait rembourser

Avant qu’ils attrapent la voix populaire
Pour la museler
Avec une job

Avant que l’humanité devienne une ressource
Et la rancune, un carburant
Avant que la population devienne une matière inépuisable

Quand on parle de communauté
On parle de vivre ensemble
Ils ne comprennent pas ces mots
Parce qu’ils ne riment pas avec :
Profit
Paradis
Soumis
Nanti
Abruti
Monarchie

Ils ont couvert la montagne d’asphalte
Et tes yeux ont séché sous la canicule
On raconte que l’horizon est disparu
La même année
Pour ne jamais revenir

Ils ont passé un gros tuyau dans nos corps
Mais nos cris n’ébranlaient pas la coquille
De ce monstre-abreuvoir de Bermudes
La même année
Les poissons ont commencé à nager sur le dos

Ils ont pratiqué le lancer de l’action
Toujours plus haut toujours plus loin
Jusqu’à ce que plus personne n’ait la force d’agir
Pas besoin de réfléchir pour chauffer une bucheuse
Les feuilles se sont transformées en épines
La même année

Ils ont bâti des routes
Qu’on ne peut pas emprunter
Des kilomètres d’orgueil et d’oubli feuillu
La même année
Le bois franc s’est mis à mentir

Ils ont construit des rivières de pétrole
Où nagent des sourires plastifiés
L’espoir s’est noyé dans les eaux usées
L’argent a appris à nager entre les corps
La même année

Ils ont mis des mines sous nos pieds
Pour qu’on oublie comment marcher chez nous
On raconte qu’on a commencé à les remercier
La même année
De bien vouloir guider nos pas

Ils ont étendu leurs royaumes sur les couronnes
Et se sont prosternés devant eux-mêmes
La même année
Si chaque rose a ses épines
Ils ont, eux, leurs épinettes

Ils ont déversé la mort où on buvait
En nous laissant faire la job sale
Le poison s’est mis à couler dans nos veines
Aux deux semaines
La même année

Ils ont tracé des frontières imaginaires
Des murailles qu’on construit nous-mêmes
Et qu’on respecte pour eux
La même année
L’argent s’est mis à pousser dans les arbres

Ils se sont greffé des crocs de bois
Dans une bouche qui fait peur
Et qui vole des baisers de sa salive glyphosateuse
On s’est mis à leur embrasser le cul
La même année

Ils ont enfermé la royauté en paquets de douze
Traitement Royale pour sa Majesta
Parce qu’ils voulaient encore plus que la sueur et le sang
On a vu la dignité disparaître dans les annales
La même année

Ils ont fracassé la lucidité
La même année
Se sont fait des autoroutes de nos corps soumis
C’est simple de voir loin
Quand le peuple qui détient l’horizon
Se prosterne devant la machinerie

Ils ont creusé des déserts
Où les castors se construisaient des châteaux
On raconte que le crédit a fait exploser la bogue
La même année
Qu’une rivière subventionnée leur a coulé dans la gorge

Ils ont abattu le plus grand des arbres
Pour matcher sa hauteur en piles de planches planées
À ce qu’on dit, le profit est plus solide en 2 x 6
Un nom dangereux a verdi sur des portes de truck
La même année

Ils ont accroché des hameçons à des offres d’emploi
Pour attraper les honnêtes travailleurs
Il paraît que chaque fois qu’on coupe un arbre
Une espèce disparaît
Les hommes ont commencé à se nourrir comme des chainsaws
La même année

Ils ont bâti des montagnes où il n’y en avait pas
Et creusé des fossés où il y en avait
Pour punir tout ce qui ne savait pas marcher à leur rythme
La même année
La faune s’est lancée sur des lumières de truck

Ils ont forgé des ciels de nuages cadenassés
Et le vent s’est mis à répandre de fausses promesses
C’est plus simple d’appuyer sur le piton l’âme raffinée
La même année
Le prix de la conscience a chuté au gallon

Ils ont habillé la terre de vêtements aux poches trouées
En se bâtissant des églises qui boucanent
Des mains de pères ont oublié celles de leurs fils
La même année
L’héritage rouille plus vite que les scies

Ils ont souillé la cour
Pour que nos enfants ne puissent plus y jouer
Pour leur faire croire que la vie éternelle se compte en zéro
Les épines de la mort ont enclenché leur communion
La même année
Et nous les avons plantés

Ils ont monté de grands murs d’envie
Pour que les communautés ne puissent plus se regarder dans les yeux
On raconte qu’on a remplacé le « Notre Père »
Par « Employeur » dans nos prières
La même année

Heureusement, ils ont oublié

Oublié que ça prend plus qu’une casquette Bud Light
Pour être un homme

Que les enfants savent faire semblant

Qu’un moulin sans esclaves
C’est juste une Église abandonnée

Qu’une clôture, ça se saute

Que du bois, ça brûle
Le pétrole aussi
Les hélicoptères, des fois

Qu’une paye, c’est pas un contrat

Qu’ils peuvent voler ce qu’ils veulent
Que le respect, ça se gagne à la longue
Que ça prend du temps
Pis que nous autres c’est tout ce qu’on a, du temps

Ça pis l’envie rageuse d’assister à leur chute
En espérant qu’ils tombent longtemps
De haut
Sans forêt pour les amortir
Dans une rivière noire

Il paraît que chaque fois qu’on coupe un arbre
Une espèce disparaît
Cette fois, ce sera peut-être la bonne

Une communauté
Ça se parle
Mais pour entamer le dialogue
Il faudrait sans doute
Enlever notre langue de leur cul

Et là, seulement là, on reparlera de vivre ensemble

 

Sébastien Bérubé
Texte publié dans le No 17. Faire communauté

Sébastien Bérubé. Photo : Annie France Noël
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