English / Mi’kmaq
Dans les yeux d’un étranger
nous retrouver en territoire connu
en accord
avec les loups
de fables urbaines
aux embruns d’Oregon
Moncton ou Chicago
on s’en fout
faire partie de ces récits imparfaits
ces films sans fin
où l’animal
meurt
dans notre dos
…
On s’incline sans doute trop souvent
charrié de nulle part
un amas de questions
La somme de nos êtres
quelle est-elle
répandue en mille morceaux éparpillés ?
Ne portons-nous pas l’empreinte
de ceux que nous avons remplacés ?
à travers nos combats de tous les jours
papillons blessés cheveux d’hiver fleurs de lotus
subsiste le noyau des origines
un p’tit nom
un peu démodé
entre ville et campagne
une randonnée à bicyclette
en noir et blanc
quelques sous
pour une vieille école
sans nom sans route
un air retrouvé au bout d’un sentier
une chanteuse jazz
et ses I love youz
des rigoles d’eau douce
leurs contes de sable de brises de sous-bois
où les morts s’enterrent d’eux-mêmes
…
La maison bouge
à l’heure où l’on s’endort
elle gruge les songes
elle monte la garde
contre l’oubli
la maison danse
à l’heure des poules
elle invite les ombres auprès d’elle
jusqu’à la tranchée
la maison devient prénom
lorsque l’on s’en éloigne
une fiction un récit un roman
un jour ou une nuit
une bombe un tsunami une grue
les rimes de l’enfance
s’arrachent à elle
alors qu’elle chante encore
dans les ruines
des rivières souterraines
…
Mes voiles tombent
et mes cheveux
au fond des égouts
les pores de ma peau ne retiennent plus
les démangeaisons de la plaine
la ruse des bambous
le venin des bourdons
la poussière des rires celle de mes ennemis
promesses meurtries
transparente
talons trop mous
errer au présent
tandis que mes souvenirs d’enfant
pommes brûlées gruau cassonade
filent sur le revers de mon manteau
Quel est l’envers de ces histoires ?
Que devient la beauté
enfermée dans un corps
et un prénom mille fois copié ?
Que deviennent ces minutes
abattues par la gravité
regards éteints âmes de plastique
sous feux de projecteurs
réglés au quart de tour ?
Que deviennent ces aquarelles
si elles se refusent à moi
sur des parquets de vase
et sous des ciels opaques ?
…
Junkie
bruit de brume
la même histoire
se répète
toujours les mêmes ruelles
qui me marchent dessus
je ne m’appartiens plus
je goûte le vide
je redoute la danse
j’espère ne pas
les oiseaux s’en fichent
gonfler ma boussole
salle d’attente
mes prunelles se perdent
dans le puits d’une fenêtre
novembre
arbres casse-tête à redresser
mon visage une savane
j’ouvre ma peau
au poids de l’air
je me fatigue
qui dit apprendre dit aimer
rapiécer ma langue
ça me donne froid
de m’éclaircir
pour ne pas m’effriter
me baigner
dans le flanc des neiges les brindilles de ciel
les fossiles enfin s’éveillent
je me demande
si je pourrais redevenir un jardin
…
L’étau
se resserre sur les poèmes
lovés dans chaque cellule
Pourquoi nous tuer ?
fantômes de poussière
sous les lanternes
de la sauvagerie
j’ai perdu mes os
au nowhere de ce pays
trop étroit pour moi
isolée dans mes symboles
retranchée dans ma réserve
Leslie Joanne Michelle Donna Lynn Melissa Jolene
je m’appelle
quitter le poids
de ce monde en érosion
suspendre
robe
rouge
…
L’homme mange
les bleus du monde
sous les néons
on ne se repose jamais
compressées dans le béton
des voix s’insurgent
corridors barbouillés
de mensonges de sparages
tout ce qu’on ne voit pas
dans l’ombre des industries
on nous parle
de langage de conflits de tiraillements
de tempêtes d’ouragans
d’injustice d’intimidation
de dialogues de générations
des Chiasson des Landry des Comeau
des Miller des Turcotte des Roy des Sans nom
des quais des villes des écoles des cours à scrap
des boulangères des charpentiers des aubergistes
des cuisiniers des tuteurs des traductrices
des chansonniers des peintres des sans-papiers
des pères des mères des fous des vieux des orphelins
on s’entraide on invente on grandit on danse
on espère
encore
on dort parfois trop longtemps
ou pas assez
on s’unit on s’oppose
on répète les mots qui hantent nos légendes
on s’arrache à la violence
on s’offre aux autres tout silence
hors du temps
on se défend du non-sens
on se regarde parfois sans rien faire
…
Ta langue
n’est pas la mienne
mon langage
reste emprisonné
derrière une bulle de verre
tu m’obliges
à me désapprendre à me résoudre à me réduire
Comment m’y retrouver ?
tu prends mon territoire
par en dessous
et ne me parles
même pas
ni ne me regardes
Faire communion
est-ce possible ?
même si tu ne me comprends guère
tu me donnes
des raisons d’écrire
N’avons-nous pas
à être solidaires
comme les arbres ?
…
Femme de mémoire
femme d’horizon
femme torrent
ton Nord
vient jusqu’à moi
nous sommes les mêmes
à quelques noms de plantes près
cueillettes urbaines commandées par l’exil
tu me dis
viens mourir dans mes rivières n’aie pas peur
je me présente à toi
mes paroles sont un peu voilées tu m’écoutes
dans ton capteur de rêves
tu les attrapes
tu saisis tout de moi
tu me dis encore
N’as-tu pas appris ma langue ?
je pense à nos ancêtres
entremêlés
le pays en est habité
comme les poètes
j’aime à penser
que nous sommes
sauvages
la Terre les hommes le vent nos rives les roses l’eau le sel les dunes la lumière nos forêts l’espace
tes yeux se posent sur moi
tu me traques
comme au temps
de la chasse
alors seulement
je sais que tu me respectes
je recoiffe mes rêves de lichen
je rallume les rochers du monde
Brigitte Lavallée
Texte publié dans le No 17. Faire communauté