(Émilie Bernard. Nature morte de plantes vivantes III. 2023)
Les deux mains dans la terre, je découvre les racines sèches des plantes annuelles que j’avais déterrées l’automne dernier en fermant mon jardin pour la saison froide. En examinant les courbes de chaque vieille racine, j’essaie en vain de me souvenir des fleurs, fines herbes ou légumes qui avaient occupé cette terre. Je suis remplie de nostalgie en sachant que les racines de mes anciennes plantes vont nourrir les nouvelles semences que je sème si soigneusement à chaque printemps. Les minéraux essentiels dans le sol vont se mêler aux vieilles racines et à l’engrais que j’y poserai afin de créer un micro-environnement propice à une nouvelle petite pousse.
Des bouts de racines, j’en ai laissé partout : l’érable que nous avons planté en famille derrière notre première maison à Fredericton ; dans le petit jardin de mon appartement à Gatineau ; parsemées entre les briques anciennes des villes que j’ai visitées en rêvant de m’y enraciner ; enterrées dans les souvenirs des amoureux qui sont devenus des étrangers. Quand vient le temps, je déterre et je transplante les racines qui survivent dans une nouvelle terre.
Vous devinerez bien que l’inspiration pour ce numéro m’est venue pendant l’un de ces précieux moments de jardinage. En lisant les 166 soumissions ( !) pour ce numéro libre, je comprends que ce processus d’extraction et de replantation est une expérience universelle. Le thème a pris 12 tournures ; a voyagé de l’Acadie à Haïti, en passant par le Maine, la Belgique, Taiwan pour, finalement, prendre vie sur votre écran. On y aborde l’immigration, la langue, la nostalgie, la grossesse et le déplacement. Les racines de ces textes existeront dorénavant dans le jardin de votre mémoire. À vous de les récolter !
Melissa Hachey
Texte publié dans le No 40. Déraciner/Enraciner