C’est un pipeline de 4600 kilomètres qui devait initialement relier le Québec et le Nouveau-Brunswick par pour mettre en œuvre l’un des plus importants projets de transport pétrolier du pays qui est à la source de cette manifestation poétique.Au sens métaphorique, c’est le lien qui unissait les poètes conviés à cette résidence. Et ce lien que l’on a d’abord inventé de toutes pièces s’est, au fur et à mesure que le projet se développait, concrétisé en une base solide. L’amitié et la complicité qu’ont développées les auteurs ont transformé l’expérience en un véritable terrain de jeu où tout est devenu permis. Car il faut bien le dire, le pari n’était pas gagné que de réunir quatre étrangers et de les faire travailler à un sujet aussi explosif que celui-là !
La commande était claire : prendre position sur le développement de ce projet pétrolier et présenter le produit final à la communauté. La grande force du concept tient probablement dans le fait qu’il permettait l’affrontement. Non pas au sens négatif, mais bien au sens premier d’aller au-devant de quelque chose ou de quelqu’un avec courage. Car il en fallait du courage pour oser affronter ainsi, en compagnie de purs étrangers, l’iconique sable bitumineux en y échangeant nos idées, nos valeurs et nos opinions puisque les questions soulevées amenaient des problématiques qui dépassaient bien largement la mise en chantier d’un pipeline.
J’étais d’ailleurs bien déterminé à répondre par la bouche de mes canons poétiques. Après tout, si Frontenac n’était plus là pour lancer sa salve et pour défendre le territoire, c’est tout de même à Québec, plus précisément à l’intérieur des murs de la fortification, que nous avions été conviés. Nous n’y étions pas pour nous prononcer sur le sort de l’Amérique, mais à mes yeux, les enjeux environnementaux me semblent tout aussi préoccupants que les menaces d’invasions que subissait le gouverneur de la Nouvelle-France. C’est d’ailleurs en s’y arrêtant quelques instants que l’on réalise qu’un assemblage de tuyaux de cette envergure ne peut pas se faire sans qu’il y ait des sacrifiés.
Les travailleurs des Maritimes sont nombreux à se rendre dans l’Ouest afin de travailler à l’extraction du gaz bitumineux et lorsque l’on habite la province où l’instance privée la plus puissante s’appelle Irving Oil, il n’est pas nécessaire de faire un dessin pour comprendre que cette industrie crée un nombre considérable d’emplois à ceux et à celles qui, souvent, n’en auraient pas autrement. C’est pourquoi j’avais décidé, avant même mon arrivée à Québec, de mettre la lumière sur les travailleurs de cette industrie.
J’ai voulu leur donner une voix, car c’est bien là où l’on trouve toute la force et les possibilités de la poésie, sans doute l’un des derniers remparts à protéger les laissés-pour-compte d’une société où les calculs priment encore trop souvent au détriment de la condition humaine.
Car oui, parce qu’elle est présente partout, la poésie possède ce pouvoir. Elle parvient à surprendre et à résister au temps, probablement parce qu’elle n’est associée à aucune mode. C’est pourquoi il était possible d’allier les mots au bitume, les vers et les cris du cœur au bruit des métaux et des pompes à pétrole.
Nous avons le devoir de dénoncer les discours qui ne disent pas tout et les ruses utilisées pour justifier le rasage des forêts, la contamination des cours d’eau et l’exode des espèces vivantes, mais nous ne pouvons pas nier notre dépendance à l’or noir. Après tout, je devais parcourir près de 1000 km pour participer à cette résidence. Quel était le bilan de mon empreinte carbone sur l’environnement ?
Ce sont donc ces préoccupations qui m’ont habité tout au long de ce projet et que j’ai tenté de relever dans mes textes. J’ai essayé d’y dépeindre une certaine réalité où le quotidien est souvent teinté d’un sentiment d’impuissance. Les poèmes qui suivent ont été écrits dans l’urgence avec le désir qu’il s’en dégage un certain humanisme et un cri du cœur qui gagnent à être entendus.
Poésie : 4600 km ; Rouler en 4×4
Texte publié dans le No 16. Déversements.