Herménégilde Chiasson. circulations

pour Gina Pane

Oui, je l’ai vue, à genoux, autrefois, longtemps passé
Son sang dans le tissu blanc, son sang menstruel, son œuvre
Ses cheveux aussi, sa coupe à la Jeanne d’Arc au bûcher
Les bégaiements de temps en temps, elle riait jamais
Nous avions parlé du sang du Christ
De la rédemption aussi, mais c’est si loin, c’est vague

C’est beaucoup plus tard que j’ai appris ça
— Ça quoi ?
— La circulation du sang
— William Harvey ?
— Oui, c’est à lui qu’on doit ça, que le sang circule, les veines…

Autrefois on croyait que le sang portait la vie, la contenait
Circulation, le mot me fait toujours penser à une autoroute
La circulation, le trafic, les voitures, l’asphalte, les lignes blanches…

Ça m’a toujours fait drôle de savoir ça
— Ça quoi ?
— Le fait que le cœur n’arrête jamais de pomper
— Beau temps, mauvais temps
— L’agitation fébrile, l’a-gi-ta-tion fé-bri-le…
— Tu sais c’est quoi un défibrillateur ?
— Je sais que ça à faire avec le cœur, mais à part ça…

Autrefois on croyait qu’on pouvait mourir au bout de son sang
Donner son sang c’était comme donner sa vie
Exemple : le sang rédempteur du Christ…

Maintenant on peut donner son sang n’importe quand…
Mais c’est pas pareil comme vraiment donner son sang
On appelle ça une transfusion, trans-fu-si-on…

Rien à voir avec elle, à genoux, le sang sur les lames de rasoir.
Ça m’a donné un coup quand j’ai appris sa mort
Elle est morte jeune finalement…
J’avais passé au moins une bonne heure avec elle

Herménégilde Chiasson

Publié dans le 31e numéro de la revue Ancrages Vivant

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