Shelby Beaatz Sappier. La communauté

English / Mi’kmaq

– Traduit par Sophie M. Lavoie

Natalie Sappier (Samaqani Cocahq). Ancestors. 2013

Être issu d’une petite communauté où les gens partagent une identité commune, un sens d’appartenance au lieu et aux aspects culturels de la vie – certains diraient que c’est une forme d’unité. Un endroit où les gens s’épaulent entre eux, se respectent, évoluent pour le bien face à l’adversité et surmontent les obstacles. C’est un endroit où on est tous reliés comme à une famille et où on fait le plus possible pour donner le meilleur de soi. On a des racines dans l’endroit d’où l’on vient.

Nous avons toutes sortes d’histoires qui nous sont propres, de la façon dont nous avons été élevés à nos expériences personnelles. Ces moments et ces souvenirs nous rendent uniques. Nous voulons tous voir le monde et devenir quelqu’un dont notre communauté serait fière. Je veux vous dévoiler ce qu’est la communauté à travers les yeux et les expériences d’un jeune homme.

Quand je grandissais, la vie n’a jamais été facile. Un jeune dans un monde invisible s’est transformé en adulte qui a tout vu de la vie ; les deux états ont leurs avantages et leurs désavantages. Tous ceux qui viennent d’une petite communauté veulent voir le monde tel qu’il est. Les gens disent «  profite au maximum de ce que tu as  ». Eh bien, c’est certainement ce que ce jeune homme a fait. La petite communauté où demeurait le jeune homme et la famille nombreuse qui n’avait pas beaucoup d’argent lui ont empêché d’explorer le monde extérieur. L’imagination de son enfance s’est enrichie, lui permettant non seulement de trouver une paix intérieure mais de s’émerveiller de ce qui l’entourait. Tous les jours, il entamait un voyage de découverte de soi et du monde.

Il s’entourait des nombreux amis qui grandissaient sans père dans leurs vies. Même s’il a été élevé par sa mère et son père, son père sacrifiait le temps avec la famille en sortant de la communauté pour subvenir à leurs besoins. C’est ce qui le liait le plus à ceux qu’il appelait des amis. Ensemble, ils s’épanouissaient dès le lever du jour et trouvaient des façons de s’occuper  : les parties de baseball, de hockey ou, simplement, faire de la bicyclette dans le voisinage jusqu’à la tombée de la nuit. Ensemble, ils faisaient tout et rien. Un ami chipait quelques dollars du sac de sa mère et un autre faisait des tâches ménagères pour gagner quelques dollars à dépenser en bonbons au seul dépanneur du coin. Ils trouvaient toujours une façon d’avoir ce qu’ils désiraient.

À la fin de chaque journée, rentrer à la maison était toujours le moment le plus difficile. Pas parce que le jeune homme ne voulait pas y être, mais parce qu’il n’avait pas une chambre à lui. C’était le plus jeune de quatre garçons avec une sœur cadette et il n’y avait pas beaucoup de place dans la maison de taille moyenne. Le manque de logements était un problème depuis des années. Avec le temps, de la moisissure avait commencé à se former sur les murs du salon. Chaque fois qu’il pleuvait, ça s’aggravait. Ça provoquait des problèmes de santé que personne de voulait endurer. Voilà seulement quelques circonstances auxquelles sa famille faisait face au quotidien.  Mais, ça ne l’empêchait pas de rêver tous les soirs.

Le jeune homme venait d’un endroit où beaucoup étaient alcooliques ou drogués et encaissaient l’aide sociale pour subvenir à leurs besoins. Il savait qu’il ne voulait pas devenir une de ces personnes car il se rendait compte que ce style de vie était toxique. Il ne voulait pas tomber dans ce «  piège  », comme le considéraient la plupart des gens. Il avait toujours voulu être plus qu’une statistique. Il voulait devenir un exemple pour les autres (il n’y en avait pas beaucoup dans sa communauté) et montrer à ceux qui avaient perdu espoir de devenir quelqu’un d’intègre qu’ils pouvaient faire quelque chose de leur vie avec un peu de travail. Il travaillait d’arrache-pied pour devenir cette personne pour les membres de la communauté.

L’éducation n’avait jamais été un de ses points forts (comme pour nombreuses personnes de la communauté), mais toujours un besoin. Même s’il y avait une école dans la communauté à laquelle plusieurs allaient, ainsi qu’un autre dans la ville d’à côté, plusieurs parents envoyaient leurs enfants en dehors de la communauté pour avoir ce qu’ils considéraient être la meilleure éducation possible, sans distractions. Dans l’ensemble, ça fonctionnait. La plupart des enfants travaillaient très bien à l’école, mais en grandissant, ils commençaient tous à vouloir expérimenter toutes les choses que les adolescents aiment faire. En premier, la marijuana. Puis, l’alcool. Éventuellement, la consommation devenait excessive. L’histoire du jeune homme n’a pas été différente.  Avec le temps, il a commencé à faire toutes les choses qu’il s’était promis de ne pas faire. Ses amis lui faisaient des pressions à mesure qu’ils ont commencé à faire des expériences, et la consommation excessive est devenue une activité quotidienne. Ses actions ont mené à une décision que ses parents n’avaient pas envie de prendre. Il serait renvoyé de sa communauté vers une autre, avec l’espoir d’améliorer son comportement. C’était habituel pour les jeunes ados de la communauté quand les parents ne les maitrisaient plus.

Pendant deux ans, le jeune homme a travaillé sur sa personne avec l’aide d’un homme plus âgé qu’il considérait comme son sauveur. Comme la plupart des jeunes adultes de la communauté, il avait besoin de quelqu’un pour l’écouter vider son sac quand il en avait besoin. Hélas, pas tout le monde n’avait une personne de confiance. Le jeune homme a appris à survivre en se servant des savoirs de ses ancêtres. Ça lui a donné une perspective plus ample et une compréhension générale de la vie. La culture est importante pour les autochtones. Malheureusement, la langue et les enseignements de sa communauté étaient moribonds. Sa chance à lui a été que ces traditions l’ont aidé à ne pas devenir la personne qu’il n’aurait jamais voulu être. Les enseignements lui ont permis de fouiller dans ses racines et de trouver une plus grande appréciation de qui il était et d’où il venait.

Certaines personnes s’échappent en se servant de choses différentes. Pour certains, c’est de lire un livre ou d’écrire un poème ; pour d’autres c’est faire de l’exercice ou écouter de la musique. Chacun développe un talent à lui. Le jeune homme s’est affranchi par l’écriture. Elle lui a donné une façon de s’exprimer mais aussi de tisser des liens avec ceux qui lisent son œuvre. Son moyen de s’échapper a mené à une carrière littéraire et sur la scène. Même s’il était souvent loin de chez lui, il se souvenait des apprentissages que sa mère lui avait offerts, de ne jamais oublier d’où il venait. Ses amis, sa famille et sa communauté lui manquaient, mais en fin de compte, il savait qu’il avait fait le bon choix. Dans son cœur, il savait qu’il retrouverait le chemin de chez lui quand ce serait le moment.

C’est ainsi qu’il a pu éviter les problèmes et les comportements toxiques de certaines personnes dans la communauté. La tentation le pourchassait continuellement surtout lorsqu’il voyait la déchéance des amis avec qui il avait grandi. Certains n’avaient jamais travaillé même un jour, d’autres buvaient à profusion pendant que d’autres encore vendaient de la drogue. La distance est devenue un tendre souvenir et les objectifs qu’il devait atteindre pour avoir du succès sont devenus clairs. Il écrirait du fond du cœur des textes à dimension humaine. Il révèlerait les expériences de la communauté et le quotidien de ses membres. Il voulait montrer au monde qu’il y a d’autres choses dans la vie, qu’il ne faut pas attendre passivement ce qui aurait pu être, qu’il faut se réaliser soi-même. Avec le temps, les gens ont commencé à l’écouter et à apprécier son talent.

Comme la plupart des gens de la communauté, les gens autour de lui s’appuyaient entre eux. Montrer qu’il avait travaillé inlassablement sans perdre espoir leur donnait de l’espoir, de la motivation, de la volonté et de l’inspiration. Selon les statistiques, une personne sur dix quitte sa communauté pour poursuivre ses études, apprendre un métier, devenir un entrepreneur ou simplement parcourir le monde. Ces gens détestent devoir dépendre de quelqu’un pour arriver à faire quelque chose de leur vie. Le jeune homme était un des membres de la communauté qui avait trouvé sa voie à un jeune âge, s’était trouvé une passion et s’était vraiment surpassé.

Pendant qu’il continue son chemin dans la vie, comme les autres le feront, le jeune homme sait dans son cœur qu’il ne serait pas qui il est aujourd’hui sans la communauté qui l’a élevée. Malgré les difficultés dont certains pâtissent et la douleur que certains ressentent, et grâce à la fierté d’accomplir les buts qu’il s’était fixés, le jeune homme sait dans son for intérieur qu’il est possible d’accomplir tout ce qu’il peut s’imaginer. Très peu de membres de sa communauté trouvent un bonheur sincère et la plupart se sentent comme dans un piège, mais beaucoup ont un amour sincère pour l’endroit qui leur est cher. Comme la mère du jeune homme lui avait répété  : il ne faut jamais oublier l’endroit d’où l’on vient. Cet endroit précis où tu es né et où tu as grandi fera toujours partie de ton parcours. La façon dont le jeune homme conceptualise le sens de la communauté aujourd’hui est différente que dans le passé. Il comprend maintenant ce que la communauté est pour lui  : l’unité qui lie tous les habitants ensemble, la maison où il est né et les rapports tissés au fil des années. C’est où le cœur aime. C’est où il a été élevé pour devenir l’homme qu’il est aujourd’hui. Sans cet endroit, il n’existerait pas.

 

Shelby Beaatz Sappier
Texte publié dans le No 17. Faire communauté

Shelby Beaatz Sappier. Photo : Annie France Noël
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