Marie-Christine Collin. Emprunter un peu de paix

Marie-Christine Collin

Rester, immobile. Payer le prix d’un regret à chaque assaut, envahi par les écrits rapportés, chuchotés sur une page. Lire et relire une page comme mille autres, neuve mais déjà salie, pauvre en qualité et en contenu. Caresser une couverture rigide, un toit, un havre, le temps d’un imaginaire : un rocher dans un monde de sable. S’y blottir chaque soir en sachant qu’il n’est qu’éphémère. Imaginer pour un instant que les avions pyromanes sont des fées, des dinosaures, des cochons avec des ailes. Se souvenir avec tourment que ce toit a été emprunté et devra être rendu, une fois l’orage passé.

Continuer jour après nuit après décennies, pendant que les arbres bourgeonnent longuement, douloureusement. Ramasser, enfin, les débris d’une vie en lambeaux, de l’encre, et du carton. Retranscrire, laborieusement, chaque mot. Être un poète clandestin dans une forêt de mensonges, plantée, arrosée, engraissée de rêveries passagères. Écrire un mot par jour, peut-être deux, d’une main tremblant depuis des siècles, aveuglée, elle aussi. Se décourager, petit à petit, alors que la vue baisse, que la réalité s’écoule comme une rivière, s’écroule comme une avalanche.

Créer un journal intime entremêlé à quelques parcelles d’histoire. 1944. Ne plus distinguer les taches d’encre des mots et s’en foutre totalement. Écrire pour oublier ; rendre les images plus vibrantes que jamais. En raconter tout autant avec les larmes qui déforment chaque page, forment des cratères comme les bombes d’antan. Immortaliser ses gémissements en un monument trompeur, peint noir d’injures, le temps d’une histoire, avant de dormir.

Redécouvrir, un jour, un dernier printemps, caché sous des années d’hiver. Combattre les nuages noirs accrochés au plafond. Décider, entre deux battements de cœur, de s’acquitter d’une dette, une dernière, une seule. Balbutier des excuses, en inventer d’autres, offrir un peu d’argent et être soulagé qu’il soit refusé. Rendre, finalement, le toit emprunté, alors qu’un autre, chétif, a été érigé. Attendre patiemment, sous celui-ci, que l’été arrive.

 

Marie-Christine Collin

Texte publié dans le no 8 Jeudivers

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